Comment attirer plus de femmes dans la tech ?

13/8/2024
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Les études se suivent… et se ressemblent. En 2021-2022, à peine un quart (24 %) des emplois dans les professions du numérique était occupé par des femmes selon l’INSEE. En découle un vrai enjeu de diversité pour tout le secteur. Alors, comment le féminiser une fois pour toutes ?

Au commencement de l’informatique était la femme. En 1843, Ada Lovelace concevait l’algorithme capable de fabriquer la première machine à calcul, l’ancêtre du code. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, six femmes : Kathleen McNulty, Jean Bartik, Marlyn Wescoff Meltzer, Frances Bilas, Betty Snyder et Ruth Teitelbaum, imaginèrent le code du tout premier ordinateur entièrement électronique : l’ENIAC. On pourrait aussi citer Grace Hopper, Frances Allen ou encore Adele Goldberg. Mais alors, que s’est-il passé pour que cette page de l’histoire sombre en erreur 404 ?

Isabelle Collet, chercheuse à l’université de Genève et spécialiste en sciences de l’éducation, livre une première analyse : “Avant le micro-ordinateur, personne ne savait ce qu’était l’informatique. La représentation que l’on en avait alors, c’était celle d’un métier du tertiaire. Les filières pour y accéder se nommaient “calculs numériques”, étaient moins prestigieuses, et correspondaient à une certaine représentation qu’on se faisait des femmes scientifiques”. En d’autres termes, l’informatique n’était pas un secteur suffisamment “shiny” pour attirer les hommes. Comme dans tous les métiers où les femmes sont surreprésentées (l’enseignement, le care etc), les salaires n’y étaient pas mirobolants. En effet, à mesure qu’une profession se féminise, elle se paupérise. Cela a été démontré maintes fois par la sociologie. Mais l’inverse est vrai également : c’est ce qui s’est passé avec l’informatique !

Pourtant, la présence des femmes dans la tech est cruciale, déjà parce que la moitié de l’humanité ne peut pas rester à l’écart des technologies qui façonnent notre monde (bonjour les biais !), mais aussi car ce sont autant d’opportunités dont ne se saisissent pas les femmes dans l’avancement de leur carrière. Comme le souligne l’école Ada Tech School, avoir plus de femmes dans le secteur “contribuerait à gommer les inégalités économiques auxquelles elles font face, puisque les femmes à l’échelle mondiale représentent 52% de la population mais ne produisent que 34% des richesses”.

Alors, comment bousculer le(s) code(s) ?

1. Agir dès la formation

Si l’on veut traiter le sujet dans son entièreté, commençons par le commencement : les racines du désamour des jeunes filles pour ces filières. Aux Etats-Unis, des associations comme Girls who code agissent dès le collège afin d’offrir aux jeunes filles de nouvelles perspectives. En moyenne, les filles ne représentent que 28 % des effectifs en cycle ingénieur selon la CDEFI (la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs). On est déjà loin de la parité, mais que dire de ce chiffre alarmant : seulement 10% de filles peuplent les rangs des écoles informatiques  ! Pour avoir plus de femmes dans la tech, et plus précisément aux fonctions techniques (pas uniquement au business, au marketing et aux RH), il faudrait encore que celles-ci soient formées à ces métiers. 

Pourtant, point de fatalité : dans des pays comme la Malaisie, 70% des travailleurs du code sont… des femmes. “Comme dans les pays de l’Est où les élèves font globalement plus de mathématiques, il s’agit de politiques volontaristes de la part de ces pays”, pointe Frédéric Bardeau, fondateur de Simplon, qui oeuvre en faveur de la féminisation de la tech. La célèbre école d’informatique a noué un partenariat avec la fondation d’Apple pour proposer de courtes formations 100% féminines, sans aucun prérequis,  et entièrement gratuites. “Nous essayons de lever un maximum de barrières à l’entrée, y compris pour des mères de famille éloignées de l’emploi, et de former le plus de femmes possible pour renverser les courbes rapidement”, souligne Lisa Braillon, Responsable du programme Apple Foundation à Lyon. 

2. Miser sur une politique de recrutement volontariste

Beaucoup d’entreprises vous diront qu’il est bien difficile de recruter des développeuses puisqu’elles sont peu nombreuses sur le marché. Celles qui en comptent davantage dans leurs effectifs leur rétorqueront que difficile n’est pas impossible ! C’est ce dont peut témoigner Kristina Colak, la DRH de Yousign. Quand elle a pris son poste en janvier 2021, l’entreprise - alors en pleine phase de scale - ne comptait que 28% de femmes. “Nous nous étions fixé de dépasser les 40% début 2025. Mais nous avons réussi dès janvier 2024, et en Q2, nous étions 42% de femmes”, nous explique-t-elle. Et de 5% de femmes dans les équipes engineering, Yousign en est aujourd’hui à 13 ou 14%. Ce n’est pas encore la panacée, mais la trajectoire est bonne.

Pour la DRH, point de recette magique si ce n’est l’addition de plusieurs politiques en faveur de la diversité et de l’inclusion. Et cela commence dès la phase d’annonce, en évitant certains termes viriles comme “vous êtes un requin, vous êtes ambitieux”, dans lesquels les femmes ne se retrouvent pas. En matière de recrutement, YouSign s’est refusé à toute forme de discrimination positive afin de ne pas accroître le syndrome de l’imposteur qui touche déjà massivement les femmes.

Nous avons plutôt travaillé sur les biais via des formations, mais aussi en instaurant des panels de recrutement incluant systématiquement des femmes mais aussi des personnes d’autres équipes, pour éviter l’effet clone”, explique Kristina Colak.

Une trame de questions ainsi qu’une score card permettent également d’objectiver un maximum la prise de décisions.

“En tant que RH, nous gardons la main sur les recrutements puisque nous challengeons toujours les managers et les personnes qui ont participé au recrutement sur leur prise de décision”, ajoute-t-elle. 

3. S’appuyer sur les réseaux et la cooptation

A l’instar de YouSign, l’AFNIC (Association française pour le nommage internet en coopération) affiche une forte présence féminine dans ses effectifs : 48% de femmes au global et 52% d’hommes, avec tout de même 33% de femmes dans la DSI. “Nous avons au moins une femme dans chaque équipe technique qu’il s’agisse de l’architecture réseau, de l’administration des systèmes, ou encore des équipes testing qui pour le coup sont majoritairement féminines chez nous. Sans oublier notre Codir qui est lui-aussi majoritairement féminin”, pointe Virginie Navailles, Responsable des démarches transversales RSE. Pour attirer autant de talents féminins, l’AFNIC mise au maximum sur des groupes de travail locaux comme la taskforce RH de Saint Quentin en Yvelines qui travaille main dans la main avec des associations comme Elles bougent, Femmes Ingénieurs ou encore Rév'Elles pour l’insertion des jeunes femmes. Ces réseaux diffusent les offres d’emploi de l’AFNIC et permettent de toucher plus facilement les bonnes cibles.

“De plus, nous encourageons nos collaboratrices à nous recommander d'autres profils féminins, et cela fonctionne plutôt bien”, poursuit notre interlocutrice.

4. Retenir les talents féminins

Une fois les talents féminins attirés, encore faut-il parvenir à les garder ! Or, dans le cycle de vie d’un collaborateur, l’onboarding est clef. Selon une étude de Brandon Hall Group en 2022, un bon processus d'onboarding peut augmenter la rétention des employés de 82%. Un point auquel nos deux interlocutrices sont particulièrement sensibles.

Une femme doit ressentir l’effort d’inclusivité dès l’onboarding, puis savoir qu’elle a les mêmes chances qu’un homme, notamment grâce à un career path ultra structuré (une grille de salaire claire pour comprendre les augmentations, des promotions assises sur des revues de performance objectives etc)”, lance Kristina Colak, dont les propos rejoignent ceux de Virginie Navailles : “dans notre parcours d’intégration, il y a toujours une femme dans chaque secteur pour comprendre la cohérence de tous nos métiers. Nous mettons également en place du mentorat, mais les binômes peuvent être mixtes”. 

Au-delà de l’onboarding, c’est toute la question de la rétention qui est en jeu. Pour cela, l’AFNIC table sur une politique de formation musclée, beaucoup de mobilité interne, et des conditions de travail très attractives, que l’on soit un homme ou une femme : des salaires toujours au-dessus de la convention SYNTEC, de la participation et/ou de l’intéressement, une mutuelle prise en charge à 75%, un treizième mois, une prime sur objectif correspondant à 1,5 mois de salaire, du télétravail 2 jours par semaine et surtout, la semaine de 4 jours depuis… 1998 ! “Cette année, 92% de nos collaborateurs étaient satisfaits de notre QVT, tandis que notre taux de turnover est de seulement 4% et notre taux d’absentéisme de 1,5%. Globalement, notre culture d’entreprise est centrée sur le partage, l’échange et l’attention aux autres”, révèle Virginie Navailles.

5. Utiliser la data au service de l’inclusion

Promouvoir la présence des femmes et plus globalement de la diversité dans la tech peut enfin transiter par une utilisation plus fine de la data. C’est ce que nous confirme la DRH de Yousign :

Je suis de très près les indicateurs comme le nombre de femmes recrutées ou promues dans une équipe (car je peux voir combien de femmes étaient dans le pipe avant le recrutement), leurs augmentations etc. Par le passé, j’ai dû de temps en temps faire la police, mais les choses ont évolué dans le bon sens d’autant que l'inclusivité fait désormais partie de nos quatre valeurs cardinales, sans compter que tout le comité exécutif de Yousign est extrêmement investi sur ces sujets”. 

De plus, un Conseil diversité et inclusion a été créé au sein de l’entreprise pour s’assurer que ce qui s’y déroule demeure dans la droite lignée des valeurs édictées. Des process et de la structuration… pour se mettre encore davantage au service de l’humain et d’un management responsable.

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