Comment lutter efficacement contre les écarts de salaires H/F ?
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Si l’index de l’égalité professionnelle a fait avancer les entreprises sur le sujet de la rémunération H/F, la Directive européenne sur la transparence va aller un cran plus loin en permettant aux salariées d’exiger des explications en cas d’écart injustifié. Mais alors, comment se préparer dès à présent pour assurer une plus grande équité salariale ?
À poste comparable, les femmes gagnent 4% de moins que les hommes en France selon l’INSEE (chiffres datant de 2022). De manière plus globale, le revenu salarial moyen des femmes est inférieur de 23,5 % à celui des hommes dans le secteur privé. Avec la nouvelle Directive européenne sur la transparence des rémunérations (retrouvez notre ebook dédié), il ne sera plus possible de cacher ces différences, et toute incohérence devra être justifiée.
Le maître mot : AN-TI-CI-PER
C’est justement en voyant arriver cette Directive que Christelle Vaugelade-Kalipé, Chief People Officer chez Bene Bono (acteur de la lutte contre le gaspillage alimentaire), a décidé de prendre le sujet de la rémunération H/F à bras le corps, sous l’angle de la diversité.
“La rémunération est un sujet extrêmement sensible, et je crois que la clé est l’anticipation. Je ne voulais pas créer de dette RH sur le sujet. Notre politique de rémunération devait immédiatement être claire, équitable et scalable, car nous allions passer de 30 à 120 salariés”, explique-t-elle.
Traiter le sujet de la rémunération des femmes, c’est donc réfléchir de manière plus globale à des sujets connexes comme la reconnaissance de l’expérience, l’objectivation de la performance ou encore les politiques de promotion. Au final, la CPO a mis sur pied une grille en interne, valable pour les hommes et les femmes. De fait, ce système n’ouvre pas la porte à la négociation, exercice dans lequel tout le monde ne joue pas à armes égales, en particulier les femmes. Pour ce faire, elle a réfléchi à la taille de l’entreprise, son segment de marché, sa raison d’être. Elle a également utilisé des benchmarks comme Figures pour s’assurer de payer à la médiane du marché.
“En somme, chez Bene Bono, nous ne rémunérons pas au profil. Le package, qui comprend du fixe, du variable et des primes, est présenté en amont dès la phase de recrutement et est en cohérence avec le niveau du poste et du candidat que nous positionnons grâce à une scorecard. Il n’y a pas de place pour la subjectivité”, nous précise-t-elle.
Les 7 informations qui devront être communiquées aux employés avec la Directive européenne
L’écart général de rémunération H/F
L’écart de rémunération variable et complémentaire H/F (celui-ci va plus loin que l’index d’égalité professionnelle qui ne prend pas en considération les bonus discrétionnaires)
L’écart médian de rémunération par sexe
L’écart médian de rémunération variable et complémentaire
La proportion des salariés de chaque sexe qui ont des rémunérations variables et complémentaires
La proportion de chaque sexe dans chaque quartile, du plus bas au plus haut salaire
L’écart H/F par catégorie de travailleurs, ventilé par le salaire de base et ses composantes
Une transparence qui séduit les candidates féminines
Pour Christelle Vaugelade-Kalipé, cette transparence présente aussi l’avantage d’attirer davantage de profils féminins, notamment à des postes où leur présence fait défaut. “Récemment, nous avons embauché une CFO. Pas parce qu’elle était une femme, mais parce que c’était la meilleure candidate. Notre process l’a convaincue”, nous confie-t-elle. Par delà, c’est toute une approche holistique que nous décrit la CPO : un travail sur le wording employé dans les annonces pour éviter tout vocabulaire trop guerrier, ou encore un effort consenti dans le sourcing pour avoir des femmes parmi les candidats à des postes généralement masculins.
Une politique volontariste dans le recrutement que soutient Sandrine Dorbes, experte en stratégie de rémunération.
“Bien sûr, il ne s’agit pas de privilégier une femme mais simplement de prendre le ou la meilleur.e candidat.e. En revanche, se mettre des objectifs de parité dans le sourcing au préalable est une bonne pratique”, souligne-t-elle.
Une posture d’autant plus précieuse qu’elle observe des difficultés récurrentes chez ses clients dans le respect du pourcentage de femmes à être parmi les plus hauts revenus de l’entreprise. L’index de l’égalité professionnelle exige en effet qu’il soit de minimum 40% pour les femmes. “Et bien entendu, cette recherche d’un meilleur équilibre vaut aussi dans les métiers où les femmes sont sur-représentées. Le féminisme, c’est aussi une forme d’humanisme”, précise-t-elle.
Faire de l’index d’égalité professionnelle un outil pour mieux se préparer
L’index d’égalité professionnelle est un bon outil pour parvenir à cartographier en interne les potentiels écarts injustifiés. “
Ce que je recommande, c’est de faire un index de mi-année. Comme cela, si on observe des écarts, on peut mieux les anticiper, les justifier si c’est possible, et les réparer par la suite
”, conseille Sandrine Dorbes. Elle ajoute également qu’en dehors de cet index qui doit être présenté aux partenaires sociaux et/ou au contrôleur de l’index, il ne faut pas hésiter à se créer son propre outil pour mieux cartographier sa situation en interne selon sa typologie d’entreprise (les critères de l’index ne sont pas pertinents pour toutes les structures).
Comment opérer des rattrapages quand ils sont présents ?
Dans le meilleur des mondes, il n’y aurait pas de rattrapage salarial à effectuer entre les hommes et les femmes. Ou alors, les écarts pourraient être parfaitement justifiés par l’entreprise avec des motifs objectifs (expérience, performance etc). Dans la réalité, il arrive bien des fois où la négociation individuelle a pris le pas, et où l’entreprise ne sait pas forcément comment justifier les écarts.
“Cela m’est arrivé dans de précédentes expériences où la population de l’entreprise était très masculine, et où il y avait des écarts clairement injustifiés. Quand on doit les expliquer et que l’on est à court d’argument, c’est vraiment délétère. Cela vient casser la confiance des salariés, et cela peut provoquer du désengagement et/ou du turnover qui coûtent à l’entreprise”, souligne Christelle Vaugelade-Kalipé.
L’une des solutions qu’elle a pu observer à ce moment-là est la mise en place d’enveloppes spécialement dédiées aux rattrapages. S’il s’agit selon elle d’un outil correctif qui permet de réduire la dette RH et favoriser l’égalité salariale, la CPO constate qu’il a des effets de bord. Les femmes augmentées peuvent se sentir flouées d’avoir été sous-payées pendant des années, tandis que les hommes peuvent y voir une augmentation “au genre” et pas à la compétence. De son côté, Sandrine Dorbes rappelle qu “il ne faut jamais qu’une entreprise perde de vue ses objectifs. Si le but est de réduire efficacement les écarts de rémunération, alors, c’est mieux que de rien faire. Dans un monde idéal, il n’y a pas d’écart à réduire, mais nous ne sommes pas dans un monde idéal. Il y aura toujours une partie des gens qui seront mécontents. Mais si 80% des collaborateurs sont satisfaits, et que l’objectif est atteint, je pense qu’il s’agit de la bonne solution”, précise-t-elle.
Une enveloppe de rattrapage à dissocier des augmentations traditionnelles
Sandrine Dorbes émet cependant une recommandation au sujet des enveloppes de rattrapage. Il est important que celles-ci soient décidées en parallèle des revues annuelles de salaire, d’abord par le Responsable Comp & Ben, puis par les HR Business partner qui opèrent sur le terrain.
“Si on donne l'enveloppe directement aux managers, ils vont l'utiliser pour augmenter les femmes méritantes qui auraient dû passer sur l'enveloppe globale. Je comprends leur point de vue mais de cette façon, les écarts ne se réduiront jamais. Dans ma précédente expérience en grand groupe, nous communiquions aux managers une short list de femmes à augmenter via l'enveloppe dédiée à la réduction des écarts. Les personnes concernées pouvaient alors avoir une augmentation au mérite et une augmentation pour combler l'écart”, explique-t-elle.
Que vous soyez une petite ou une grande structure, avec un degré de transparence plus ou moins élevé,, vous opterez donc pour des mécanismes variés. Mais une chose est sûre, l’opacité n’est plus de mise en matière de d’égalité salariale.