Compversation #23 - Un employé averti en vaut deux ?

15/4/2025
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« Encore quelque chose qui finira sur un affichage obligatoire que personne ne lira. »

C’est ce que j’ai parfois entendu de la part de certains professionnels RH en parlant du futur droit à l’information des salariés (qui pourront demander à leurs employeurs des comptes sur leur niveau de rémunération comparé à leurs collègues). Ou des lois à venir de manière générale. Pourtant, il ne reste plus qu’un an avant qu’elle soit inscrite dans la loi française (au plus tard en juin 2026). Et il est fort probable que cela se produise avant la fin de l’année.

Beaucoup d’entreprises choisissent encore de faire du « wait and see ».

Et c’est vrai que les évolutions administratives ne passionnent pas habituellement les foules. Après tout, des lois, il en passe tous les jours — et bien souvent, elles tombent dans l’oubli.

Pourquoi est-ce que cela serait différent cette fois-ci ? 

Ce qui change, c’est la manière dont l’information circule. Évidemment, les syndicats et représentants du personnel auront un rôle à jouer pour faire connaître cette nouvelle loi : je prépare d’ailleurs une newsletter sur le sujet. Mais  ils ne seront plus les seuls à informer les salariés : des millions d'influenceurs, de créateurs de contenu et de collaborateurs eux-mêmes s’empareront du sujet .… avec toutes les dérives associées à l’information, ou la désinformation, sur internet. 

Les entreprises doivent se préparer à voir arriver des collaborateurs bien coachés à mener des négociations salariales et qui connaissent leurs droits sur le bout des doigts. Il est illusoire de penser que le changement qui se prépare sera confiné à la sphère administrative. Il s’agit, en fait, d’une révolution sociétale facilitée par les réseaux sociaux. 

Les entreprises risquent de perdre le contrôle du récit sur leur communication RH. Et ce ne sera pas à cause d’un décret publié au Journal Officiel, mais à cause d’une story Tiktok qui deviendra virale du jour au lendemain.

La nouvelle tendance virale des réseaux sociaux 

Ça peut sembler surprenant pour un sujet qui est vu, au mieux, comme aride, au pire, comme honteux et très personnel : la rémunération est bel et bien devenue la nouvelle tendance virale des réseaux sociaux. 

C’est que la gen Z, particulièrement, n’hésite pas à bousculer les codes admis par leurs aînés. Et à mettre en lumière, publiquement, des choses qu’on considérait comme étant privées. Surtout lorsque cela permet de réduire les inégalités sociétales. C’est le but affiché par les influenceurs qui se spécialisent dans la question de la rémunération. 
L’une des plus connues, outre-Atlantique, s’appelle Hannah Williams. Cette influenceuse à succès (1,3 million de followers sur Tiktok et 654,000 sur Instagram) a lancé sa page, Transparency Street, en 2022, après avoir constaté qu’elle était sous-payée dans le premier poste qu’elle occupait après l’université.  Le concept de la page est simple. Un micro-trottoir où elle pose deux questions : qu’est-ce que vous faites dans la vie ? Et combien gagnez-vous ? Et les passants lui répondent. Cela fonctionne tellement que Hannah Williams a été interviewée, en 2022, par Good Morning America, un talk-show très suivi. 

Pour Hannah Williams, le fait de rendre ces informations publiques permettrait aux salariés de savoir où ils se situent par rapport à leurs confrères. 

Certains influenceurs vont plus loin que la simple information : ils se présentent comme des coachs de carrière qui préparent les collaborateurs et les candidats à mener des négociations salariales en proposant de véritables jeux de rôle : voilà ce qu’il faut dire avant d’accepter une offre, voilà ce qu’il faut dire pour demander une augmentation. 

Mais cette tendance n’est pas limitée aux pays anglophones et les influenceurs français s’y mettent aussi. La vidéo ci-dessous créée par l’influenceur Masdak en est un excellent exemple : en 1 minute 30, on passe du moment où un collaborateur découvre qu’il est sous-payé par rapport à ses collègues, à la négociation, réussie, qui lui permet d’ajuster cette inégalité.

Vidéo de Masdak

  

Les entreprises doivent donc se préparer à voir arriver des candidats et des collaborateurs très bien informés de leurs droits et entraînés à poser les bonnes questions. 

Et les effets commencent à se faire sentir aujourd’hui : une RH m’a raconté qu’elle avait reçu de plus en plus de courriers de salariés voulant challenger leur rémunération actuelle… tous calqués sur le même template. On peut parier qu’une bonne partie de ces courriers ont une origine commune. Représentants du personnel… ou influencers ?

Le name and shame : entre bad buzz et excès 

Les influenceurs qui se spécialisent dans les questions de rémunération le font au nom de convictions fortes : réduire l’écart salarial entre les femmes et les hommes pour la Française Insaff el Hassini qui anime un podcast avec plus d’un million d’écoutes. Mettre à jour les inégalités raciales dans certaines sociétés où elles jouent beaucoup sur les salaires, comme c’est le cas pour Singapour.  Ou, pour l’américain Hannah Williams, redonner le pouvoir aux individus en le prenant des mains des grandes entreprises. 
Il ne s’agit pas, dans la plupart des cas, d’une simple information neutre qui aide les individus à maximiser leurs gains, mais d’une véritable révolution sociétale. D’ailleurs, Hannah Williams a lancé son compte en 2022, avant le passage en vigueur des lois américaines pour la transparence salariale : elle a toujours appelé à plus de législation. 

Dans ce contexte, les entreprises qui ne sont pas irréprochables sur le sujet de la transparence salariale risquent beaucoup : un bad buzz, sur internet, est vite arrivé, surtout lorsqu’on peut être accusé de favoriser certains collaborateurs en fonction de leur genre ou de leur origine ethnique. 

La moindre erreur peut coûter très cher à l’entreprise qui les commet. Et cela, les avocats le savent et peuvent en jouer. 

Une avocate en droit social m’a récemment confié qu’elle se retrouvait, de plus en plus souvent, à défendre les entreprises face à des employés ou ex-employés représentés par des avocats présents sur les réseaux sociaux. Et ces avocats-influenceurs n’hésitent pas à faire peser la menace d’une exposition publique, en utilisant leur visibilité sur internet pour faire pencher les négociations en leur faveur. 

Des influenceurs peu scrupuleux peuvent également être tentés de  faire un peu de démagogie pour maximiser leurs vues : désinformer ou remonter les collaborateurs contre leurs entreprises en leur répétant qu’ils sont en train de se faire avoir. Désinformation ou sensibilisation légitime, peu importe : les collaborateurs qui pensent être sous-payés (qu’ils le soient ou pas !) pourront dorénavant poursuivre leurs employeurs en justice, poster sur les réseaux sociaux, ou les deux ! 

Et alors que les entreprises devront publier leurs fourchettes salariales sur leurs offres d’emploi, la moindre incohérence peut être dangereuse : un simple tweet d’une employée qui se rend compte qu’elle est sous-payée a été vu 13 millions de fois. 

Les conséquences sur l’entreprise sont loin d’être négligeables : elle a  dû, dans la foulée, enlever toutes ses offres d’emploi en ligne, faire un communiqué de presse et des excuses en interne.

Le risque pour les entreprises : chaque collaborateur peut se transformer en détracteur potentiel. 

Initiez la conversation pour éviter qu’elle vous échappe

Face à ces détracteurs potentiels, les équipes RH devraient suivre l’exemple des marketeurs. Lorsqu’ils identifient un consommateur mécontent, ils s’empressent de leur donner une plateforme, contrôlée par la marque, sur laquelle exprimer leur mécontentement afin de régler le problème en évitant un bad buzz plus public. 
En 2025, lorsque les consommateurs (ou les collaborateurs !) ont quelque chose à dire, ils le font, que ce soit directement à la marque (ou à leur employeur) et, s’ils ne le peuvent pas, ils se tournent vers des plateformes publiques, comme les réseaux sociaux. 

Si les entreprises ne s’emparent pas du sujet de la rémunération, la conversation risque de leur échapper et de se retourner contre eux. D’autant plus qu’elle pourrait être contrôlée par des acteurs externes qui ne sont pas forcément bien intentionnés. Et qui risquent de manipuler vos collaborateurs en les persuadant qu’ils se font avoir. 

Il faut donc être prêt à anticiper les questions potentielles qui seront plus nombreuses qu’historiquement, parce que les collaborateurs seront mieux informés. Et donner aux collaborateurs des occasions de poser ces questions-là, que ce soit au cours d’ateliers menés par les RH ou auprès de leurs managers. 

Évidemment, les recruteurs doivent être formés à la question, mais  la formation des managers doit aussi être une priorité pour qu’ils ne se trouvent pas démunis face aux questions de leurs équipes : c’est pour cette raison que nous avons consacré un webinar au sujet. 

Il est donc urgent d’initier la conversation et de prioriser la communication. Il n’est jamais trop tôt pour aborder la question de la politique salariale d’une entreprise et, dans le monde de demain, cela sera fait dès le premier contact d’un candidat avec une entreprise sur la page carrière. La rémunération sera un élément central de la marque employeur (et nous en parlerons dans la prochaine newsletter). 

Si vous voulez en parler, ma boîte mail est toujours ouverte ! 

Pour continuer la conversation

Une sélection de contenus pour nourrir la réflexion. N’hésitez pas à m’envoyer les articles qui vous ont semblé intéressants ! 

Gen Z Battles the Widening Pay Gap, 1 TikTok Post at a Time  - Bruce Crumley - Ink - (En anglais) 

Un article de 2024 qui résume les nouvelles attentes de la Gen-Z en termes de transparence salariale et qui souligne l’importance des réseaux sociaux dans la bataille contre l’opacité des salaires.  

La transparence des salaires en question : toutes les entreprises ne sont pas prêtes à franchir le pas -  Capital - Xavier Martinage

Un article qui relaie une étude par Mediavenir selon laquelle moins de quatre entreprises françaises sur dix seraient prêtes à la transparence, notamment par peur de causer des tensions en interne. 

Google agrees $28m settlement in worker discrimination lawsuit -  HR Grapevine - Ronnie Dungan - (En Anglais)

Les inégalités salariales peuvent coûter cher aux entreprises, notamment lorsqu’elles peuvent être imputées à des différences de traitement en raison des origines ethniques, par exemple. Google vient de payer 28 millions de dollars à une employée mexicaine qui affirme avoir été désavantagée par rapport à ses collègues blancs ou asiatiques. 

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