« La transparence salariale n’est pas seulement une contrainte législative. Pour les entreprises qui savent en tirer profit, elle peut être une opportunité de se distinguer sur le marché de l’emploi. »
Mois après mois, j’écris ces mots (plus ou moins), parce que j’en suis intimement convaincu. Et si vous avez l’habitude de lire cette newsletter, vous savez que je vous encourage à considérer la transparence comme un avantage compétitif pour votre marque employeur. À l’ère de la transparence, la rémunération fera partie intégrante de l’Employee Value Proposition (ou EVP) : la proposition de valeur qu’une entreprise fait à ses candidats ou salariés.
Et les discours de marketing RH ne pourront plus faire l’impasse sur la question des salaires. Mais il m’arrive parfois de recevoir des retours dubitatifs de mes confrères et consœurs RH, du genre :
« OK, je comprends qu’afficher sa grille de salaire peut être un avantage pour les entreprises qui paient vraiment bien, mais nous, qui payons à la moyenne du marché, ou même en dessous, comment pouvons-nous espérer nous distinguer ? Comment adapter notre marketing RH ? »
Heureusement, la transparence salariale n’est pas simplement une façon pour les plus gros payeurs d’étaler leurs rémunérations mirobolantes et de s’accaparer tous les talents du marché. Et je ne pense pas que ce sera une révolution qui pénalisera forcément les entreprises « moyennes ».
Voilà comment je leur conseille de se démarquer.
Un avantage vraiment différenciant
Lorsqu’on parle de marque employeur, on parle de marketing appliqué aux RH. Il peut donc être intéressant de faire un parallèle avec la vente. Comment marketer un produit « moyen », même si son prix n’est pas forcément le plus avantageux, sa qualité pas forcément la plus élevée du marché ?
Il faut, vous diraient les marketeurs, lui trouver un axe différenciant et le mettre en avant, systématiquement, sur tous les supports marketing. C’est le concept de la « Unique Value Proposition » : une proposition de valeur unique qui différencie un produit de ses concurrents. La même chose s’applique à la marque employeur. Un seul avantage RH vraiment différenciant pourra suffire à sortir votre entreprise du lot.
La bonne nouvelle, c’est que vous n’avez pas besoin d’accumuler les programmes coûteux pour attirer et fidéliser vos talents. C’est même contre-productif, selon l’expert américain Josh Bersin, qui affirme, à l’occasion de la publication des résultats de ses nouvelles recherches au sujet du comp & ben :
« La stratégie des “Total Rewards” — ou l’accumulation d’avantages et de rémunérations de types différents — a été conçue pour l’ancien monde, et n’est plus pertinente avec l’évolution du monde du travail et les nouvelles exigences des employés.»
Soyons honnêtes, beaucoup d’entre nous ont connu cette réalité: on empile les avantages, année après année, jusqu’à en avoir un nombre incalculable.
Au bout du compte, personne dans l’entreprise connait l’existence de la majorité de ceux-ci, et l’équipe RH se plaint d’avoir des salariés qui “ne valorisent pas leur package”. Un BSI plus tard, la situation s’améliore, sans pour autant être vraiment satisfaisante.
À la place, Josh Bersin encourage d’adopter une stratégie plus cohérente et intégrée qu’il nomme « Systemic Rewards ». Plutôt que de s’éparpiller, les entreprises feraient donc mieux de trouver un seul axe différenciant à mettre en avant.
C’est un pari réussi pour l’entreprise Malt, par exemple, qui a misé sur son système de « sabbatical » : un mois sabbatique payé par l’entreprise acquis tous les 3 ans. Ce qui lui a même permis de passer à la télévision, dans l’émission de grande écoute Capital.
J’adore cet exemple car il est mémorable, différenciant, et en plus, il rend les employés acteurs et ambassadeurs de la marque employeur (en les faisant témoigner des voyages qu’ils ont pu réaliser grâce à ce congé). Une “masterclass”, comme disent les jeunes. De même, l’entreprise LDLC fait parler d’elle avec sa semaine de 4 jours, jusqu’à se voir consacrer un article dans Le Monde.
Ces stratégies gagnantes ne représentent pas forcément un coût mirobolant pour les entreprises : pas besoin d’un budget conséquent pour les mettre en place. Mais elles sont efficaces car différenciantes.
Votre entreprise dispose peut-être déjà de ce genre d’argument marketing, comme une politique de télétravail particulièrement généreuse : il s’agit de l’identifier pour bien le mettre en valeur, plutôt que de réfléchir à la compléter avec d’autres avantages.
Sinon, vous pouvez commencer à réfléchir dès aujourd’hui à la meilleure politique RH à mettre en place pour booster votre marque employeur… mais gardez en tête qu’une seule mesure vraiment différenciante suffit - et celle-ci ne doit pas être particulièrement onéreuse pour être efficace !
Jouez la carte de la transparence
Vous ne voyez pas de politique RH particulière que vous pourrez facilement mettre en place pour vous démarquer ? Il y a un avantage que vous avez peut-être écarté trop vite : celui de la transparence. La transparence ne vaut pas seulement pour ce qu’elle révèle. Elle peut être un avantage en soi.
En d’autres termes, ce n’est pas parce que vos candidats ou employés découvriront, grâce à la transparence, qu’ils ne sont pas les payés au top du marché, qu’ils ne seront pas reconnaissants d’avoir accès à cette information.
Une recherche menée par Welcome To The Jungle au sujet de la marque employeur révélait, en 2023 déjà, que 75% des candidats accordaient de l’importance à la transparence de la culture de l’entreprise à laquelle ils candidataient. Et 50% aimeraient que cette transparence accrue concerne les grilles de salaires et les primes. Il y a fort à parier que ce pourcentage ait augmenté aujourd’hui.
Un discours du type : « certes, nous ne faisons pas partie des meilleurs payeurs, mais à défaut de vous faire rêver sur les montants, on peut vous rassurer et vous garantir l’équité » peut être tout à fait alléchant pour les candidats les plus sensibles à l’argument de la confiance mutuelle. Certaines entreprises peuvent vouloir adopter le degré ultime de la transparence, en révélant à tous le salaire de chacun.
La startup Alan, précurseur dans le domaine, a gagné en popularité grâce à cette politique « choc » encore très rare à l’époque où elle a été adoptée.
Il faut, pour en arriver là, avoir mené un audit très strict de la situation actuelle des rémunérations pour ne pas mettre à jour des incohérences historiques qui risqueraient d’être pointées du doigt… Et de vulnérabiliser l’entreprise d’un point de vue légal. Toujours d’un point de vue légal, cela peut contredire le droit des employés à la confidentialité.
Il faut aussi mesurer l’impact d’une telle décision sur les dynamiques interpersonnelles au sein de l’entreprise. Je connais deux entreprises qui ont voulu se diriger vers de la transparence absolue, mais suite à un sondage parmi leurs salariés, ont fait machine arrière. Et pas seulement parce que certains salariés ne voulaient pas que leur rémunération soit connue, mais aussi car d’autres ont réalisé qu’ils ne souhaitaient pas connaître le salaire de leurs collègues !
Ce genre de transparence absolue (que nous également mise en place chez Figures) n’est pas facilement réplicable par d’autres types d’entreprises, notamment les plus historiques. Mais il est possible de mettre en place des mesures de transparence qui génèrent la confiance sans être aussi extrémiste.
Plus classiquement, il est possible de travailler sur des grilles de salaires que l’on rendrait publiques en fournissant des fourchettes claires par métier, localisation ou niveau de séniorité… et des informations permettant à chacun de comprendre comment il a été placé au sein de sa fourchette.
Sur ce sujet, Danone est un excellent exemple à suivre : ils ont mis au point une politique de rémunération claire et précise qu’ils partagent avec l’ensemble de leurs collaborateurs. Les RH et les managers sont formés au sujet. C’est, selon moi, une des entreprises les plus avancées en France sur la question. Je vous conseille ce webinaire que j’ai eu la chance d’animer avec leur manager Rémunération et Performance.
Misez sur l’équité
Pour moi, la transparence sur les grilles salariales, c’est le sens de l’histoire : à terme, elle sera inévitable. Mais pour rendre publiques ses grilles salariales, encore faut-il les avoir perfectionnées et s’être assuré que tous les salaires actuellement pratiqués soient cohérents avec les fourchettes annoncées.
Et je comprends que les entreprises ne se sentent pas prêtes à sauter le pas dès aujourd’hui. On peut alors se contenter du « plus haut degré de transparence possible à un moment donné ».
Sans donner de chiffres précis, on précise les bases de sa politique salariale : d’abord, comment les salaires sont-ils fixés par rapport à la moyenne du marché ? Ensuite, quels sont les compétences et les profils que l’on souhaite valoriser ? Récompense-t-on la performance ou la loyauté ? La collaboration ou l’esprit d’initiative ?
Il faut pouvoir communiquer ça clairement et simplement aux collaborateurs pour leur donner un sentiment d’équité.
Toujours selon la même étude Welcome To The Jungle, 60% des candidats accordent de l’importance à la transparence sur les perspectives de développement professionnel au sein de l’entreprise. Transparence ne veut pas forcément dire transparence sur les chiffres : il suffit quelquefois de connaître les règles du jeu et de savoir qu’on est traité équitablement.
Pour beaucoup de collaborateurs, comprendre pourquoi ils sont rémunérés de telle ou telle manière importe plus que combien ils le sont. Ce n’est pas qu’une question de chiffres : c’est une question de sens.
En 2025, les préoccupations éthiques des collaborateurs ne sont plus à prouver : les engagements des entreprises font évidemment partie de l’EVP.
Mais cela ne concerne pas uniquement les questions sociétales ou écologiques : l’éthique devrait avoir sa place au sein même de l’entreprise, et se faire ressentir à la manière dont les collaborateurs sont traités. Pas besoin d’être l’entreprise la plus généreuse du marché pour proposer une rémunération juste, à condition de savoir en parler, et d’en expliquer le sens.
Si vous avez réussi à attirer ou à engager vos talents malgré une rémunération inférieure ou égale à la moyenne, je suis très intéressé par votre expérience.
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Pour continuer la conversation
Une sélection de contenus pour nourrir la réflexion. N’hésitez pas à m’envoyer les articles qui vous ont semblé intéressants !
Transparence salariale : salariés et entreprises sont loin d’être prêts - Anne Rodier - Le Monde
Anne Rodier tire la sonnette d’alarme dans les colonnes du Monde : les Français auraient encore des réticences autour de la transparence des salaires, près d’un avant le passage en vigueur de la directive européenne. Selon une enquête OpinionWay, 59 % des collaborateurs craignent de découvrir qu’ils sont moins bien payés que leurs collègues, et 40 % des recruteurs tiennent à garder une marge de manœuvre selon le profil et l’expérience des candidats.
Les tendances RH qui vont faire 2025 - Welcome To the Jungle - Ebook
Cet ebook préparé par Welcome To The Jungle est passionnant à lire : une analyse approfondie des grandes tendances actuelles des RH, enrichie du point de vue d’experts. La transparence fait partie des 8 tendances identifiées, et je suis heureux d’avoir été cité avec Figures.
Comment la transparence des salaires pourrait révolutionner l'égalité salariale - Les Échos - Sarah Dumeau
Un article globalement optimiste au sujet de l’effet de la nouvelle directive européenne sur l’égalité de rémunération homme-femme, même si celui-ci devrait dépendre de la sévérité des sanctions qui seront adoptées par le législateur français.