Pourquoi vous ne devez pas attendre que les femmes négocient pour les payer à leur juste valeur
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53% des hommes se sentent à l’aise pour négocier leur salaire contre 38% des femmes. Une proportion à peu près identique quand il s’agit de demander une augmentation. Des chiffres sans appel qui expliquent en partie la persistance des écarts de rémunération H/F. Sauf que, avec l’arrivée de la Directive européenne sur la transparence des rémunérations, les employeurs ne vont avoir d’autre choix que de solder leur dette RH…
“Je l’avoue, les femmes de mon entreprise négocient moins en général, et je n’ai pas tenté de mon côté de résorber cet écart à poste égal avec un homme”. Ce type de témoignages, on en trouve à la pelle parmi les dirigeants dont certains souhaitent pourtant œuvrer davantage en matière d’équité interne. Mais par où commencer ? Déjà, partons du diagnostic. Même si les femmes sont de plus en plus à l’aise avec la négociation (le baromètre de Vives média cité précédemment montre des signaux positifs chez les jeunes générations), on est encore loin du compte.
“Les femmes qui négocient sont encore mal perçues”
D’ailleurs, si tel n’était pas le cas, Marie Menini, coach en négociation, ne verrait pas toquer à sa porte autant de femmes. Ce qu’elle observe ? “Il s’agit souvent de femmes cadres qui ont de l’ambition et ont conscience de leur valeur, mais n’arrivent pas à trouver les codes en négociation. Submergées par le stress et la culpabilité, elles ont du mal à communiquer sur ces sujets sans tomber dans le registre émotionnel”, nous rapporte-t-elle. De plus, elle remarque que les femmes négocient beaucoup moins les aspects financiers de leur package pour privilégier d’autres éléments, comme du temps, une formation ou une rupture conventionnelle, ce qui les paupérise encore davantage.
Fondatrice de PowHER ta carrière, Sarah Zitouni est elle-aussi en première ligne sur ces sujets. D’après son expérience, si les femmes négocient moins, c’est souvent car elles craignent la situation conflictuelle que cela peut engendrer.
“C’est d’autant plus vrai qu’une femme qui négocie est mal vue. Elle est vite considérée comme vénale, une mercenaire qui ne travaillerait que pour l’argent… quand bien même nous travaillons tous pour vivre et non pas survivre, même si la quête de sens prend de l’importance”, observe-t-elle.
“Dans un monde économique où l’on valoriserait autre chose que l’argent, ce ne serait pas problématique, or, les femmes ont besoin d’argent pour s’émanciper, avoir plus de place dans leur couple, au travail, et dans la société”, abonde l’experte en négociation.
La faute aux biais de genre ?
Finalement, on en revient encore et toujours aux stéréotypes de genre, et cela se joue dès l’enfance comme le rappelle Marie Menini : “Dès leur plus jeune âge, les garçons sont invités à faire la guerre, ce qui comprend aussi un volet stratégique, quand les filles jouent à la dinette et sont moins acculturées à la compétition”.
Or, même si l’on pourrait espérer que la fixation du salaire ne soit pas fonction d’un rapport de force, la réalité impose de savoir maîtriser ces règles du jeu. À l’adolescence, une autre étude de Vives sur l’argent de poche démontre une nouvelle fois à quel point hommes et femmes ne partent pas sur un pied d’égalité. Elle rapporte que les garçons perçoivent davantage d’argent de poche que les filles. Ils exécutent des tâches comme tondre la pelouse ou ramasser des feuilles, quand les filles vont être en charge du rangement et du ménage.
Et puis, il y a ensuite la vie professionnelle dans laquelle les stéréotypes se perpétuent. Parce qu’elles sont entrées dans le salariat il y a seulement quelques décennies (n'oublions pas que l’émancipation bancaire des femmes date de Valéry Giscard d’Estaing), dans un monde du travail pensé et façonné pour les hommes, les femmes sont encore considérées comme le “second salaire” du foyer, ce qui est très faux au regard de l’explosion du nombre de familles monoparentales portées par les femmes. Et comme si ça ne suffisait pas, “il existe bel et bien un bonus paternel et un malus maternel”, martèle Sarah Zitouni. De nombreuses études démontrent qu’”avoir un enfant” est perçu comme un signe de fiabilité chez les hommes, soit l’exact inverse d’une femme qui “devient mère”.
Une double peine pour les transfuges de classe
Ajoutons enfin à cela une double peine selon le terreau social de la femme. “Mes coachées sont toutes cadres, et il y a forcément un déterminisme social dans le fait de s’intéresser au sujet de la négociation”, souligne Marie Menini.
Sarah Zitouni remarque elle-aussi ce phénomène, notamment chez les “transfuges de classe”, dont certaines vont avoir d’autant plus de mal à négocier qu’elles gagnent davantage que ce que percevaient leurs parents.
Au final, tout cela explique que les femmes partent avec un capital de confiance moins élevé en matière de négociation, et que nous soyons tous victimes de biais. Une étude démontre ainsi qu’à CV et poste identique, on accordera toujours un salaire plus important à un homme qu’à une femme. “C’est un peu comme si notre instinct nous disait que l’homme a plus de niac. Quand on imagine l’archétype du chef de projet, il est souvent masculin”, regrette la fondatrice de PowHER ta carrière.
RH, comment prendre la situation en main ?
Maintenant que le diagnostic est posé, passons au remède.
1. Ne pas faire porter la responsabilité de la négociation sur la salariée
Pour Sarah Zitouni, les choses sont claires : “On ne peut pas se contenter de dire qu’on a traité les femmes comme les hommes. Ce qui est égalitaire, c’est de s’assurer de l’égalité”. Autrement dit, faire preuve de proactivité et cesser de faire porter la responsabilité de la négociation aux candidats et collaborateurs. Pourquoi ? Car comme on l’a vu, hommes et femmes ne partent pas de la même ligne de départ. Imaginez notamment le cas extrême d’une mère célibataire de trois enfants : il y a de fortes chances qu’elle saisisse la première offre venue.
2. Sortir d’une vision court-termiste
Face à ce défaut de négociation, les entreprises ne doivent pas non plus voir d’effet d’aubaine. VP People chez Semble à Londres, Yssine Matola en est persuadée : “sous-payer les femmes, c’est vraiment une vision très court-termiste. Cela crée de la dette RH, ce qui va devenir vraiment compliqué avec l’arrivée de la Directive européenne. Et puis, il convient déjà de se mettre en conformité avec la réglementation actuelle. Par exemple, la salariée de retour de congé maternité doit bénéficier des majorations de salaire égales aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant son absence”. Sans compter que lorsque les inégalités éclatent au grand jour, cela rompt clairement la confiance avec la salariée, crée du désengagement et un turnover coûteux.
3. Présenter des fourchettes dès les offres
De plus, les stratégies de rattrapage ne sont pas toujours aisées : “c’est quelque chose qui se planifie avec le budget. On ne peut pas rattraper 5 années d’inéquité en un clin d'œil”, poursuit la VP People. Plutôt que de devoir réagir face à une situation, elle engage plutôt ses comparses à anticiper ces sujets, à commencer par la présentation des fourchettes de salaire dans les offres. “Chez Semble, la négociation du salaire est très rapide car nous avons des fourchettes publiques sur les offres”, nous explique Yssine Matola. Pour être certaine d’être au prix du marché, ce qui est central dans une plateforme économique telle que Londres, l’entreprise utilise des benchmarks de salaire.
4. Challenger les managers
Les grilles de salaire sont donc un outil efficace si tant est qu’on les respecte. De plus, la VP People n’hésite pas à challenger ses managers lors de l’attribution de promotions et augmentations pour neutraliser les biais de décision. “Si je constate un écart H/F sur un même poste, je vais demander au manager de le justifier. Parfois, il s’agit effectivement d’une décision qui n’est pas rationnelle. D’autres fois, il y a une vraie raison derrière. Le plus important étant de poser le sujet sur la table”, estime Yssine Matola.
5. Acculturer les femmes aux sujets financiers
Un bon point à garder en tête peut être aussi de fournir un maximum de culture financière aux employés, et notamment aux femmes, pour les aider à mieux comprendre les composantes de leur package.
6. Ne plus demander la rémunération antérieure
Enfin, Sarah Zitouni insiste sur l’importance de cesser des pratiques délétères comme demander au candidat son ancienne rémunération (et même pour de plus en plus d’entreprises le bulletin de paie !), “car cela perpétue les inégalités de traitement. Si une femme était mal payée dans son ancienne entreprise, cela va continuer”.
A retenir
Éduquer tout autant les managers que les salariés, prendre à bras le corps le sujet d’équité interne sans en faire porter la responsabilité aux individus, et surtout, anticiper les réglementations à venir : voilà déjà quelques points d’attaque à garder en tête à l’ère de la transparence. Une question d’autant plus cruciale dans l’univers de la French Tech qui ne compte que 23% de femmes, soit autant d’opportunités de diversité perdues.
“Sans talent, il n’y a pas de livraison de service ! Alors que les entreprises peinent dans leurs recrutements, il est temps qu’elles prennent en main ce sujet de l’équité salariale”, conclut Marie Menini.