“À peine sortis de l'école, ils demandent des salaires mirobolants” : comment gérer leur frustration ?

11/3/2025
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Entre les salaires promis par les écoles aux jeunes diplômés, et la réalité de ce que peuvent offrir les entreprises, il existe parfois un fossé (abyssal). Alors, comment appréhender ces demandes ? La pédagogie peut-elle suffire à combler les attentes des jeunes ? Et quel rôle la transparence des rémunérations peut-elle jouer ?

Un stagiaire qui demande une gratification de 3000€ ? Oui, oui, c’est du déjà vu ! Isabelle Bonhomme, Directrice du Développement RH et Talent Acquisition France du groupe Saint-Gobain, en témoigne. “J’ai expliqué à ce candidat que ce n’était pas possible, notamment pour des questions d’équité interne. Ce à quoi il a répondu : “je trouverai ailleurs””, se souvient-elle.  

Même retour d’expérience du côté de la PME Isospace.

Il y a peu, une jeune diplômée m’a demandé 42K pour un poste de chargée de recrutement, mais je ne pouvais pas lui donner plus de 36K. En fait, les jeunes que je reçois en entretien demandent souvent le haut de la fourchette indiquée sur l’annonce. De plus, ils exigent tous les autres avantages, comme le télétravail, la flexibilité”, témoigne Stéphanie Grandiau, DRH de l’entreprise.

Les réseaux sociaux ou le mirage de l’argent facile

Ce que l’on décrit ici est-il un phénomène nouveau ? Pour la DRH d’Isospace, les réseaux sociaux ne sont pas étrangers à ces prétentions. Avec la facilité d’accès à l’information, et surtout, la vision tronquée apportée par les influenceurs, “les jeunes ont une idée précise de ce qu’ils veulent pour leur vie perso, et de ce que le pro DOIT leur apporter”

Une analyse - en partie - partagée par Laurent Girard-Claudon, Managing Director chez Approach People Recruitment.

Selon lui, il existe une forme d’impatience et de jalousie inter-générationnelle : “pourquoi est-il payé plus que moi alors que je suis plus compétent sur cet outil, et que j’ai besoin d’argent maintenant pour construire ma vie” ?  “On voit beaucoup de jeunes investir dans les cryptos, notamment parce que cela peut rapporter vite et gros”, souligne-t-il. 

La faute aux fausses promesses des grandes écoles ?

Pour autant, n’allons pas si vite en besogne. Même s’il est exacerbé par les réseaux sociaux, le phénomène n’est pas nouveau. “Il y a 30 ans, on observait déjà les mêmes dynamiques chez les jeunes diplômés d’écoles de commerce ou d’ingénieurs”, affirme Laurent Girard-Claudon.  Parce que leurs formations sont onéreuses, les écoles jouent des coudes en affichant des salaires à la sortie qui rassurent les jeunes qui ont souvent contracté un prêt. “Le hic, c’est que ces salaires sont purement déclaratifs”, poursuit-il.

Pour en avoir le cœur net, Stéphanie Grandiau nous explique avoir un jour contacté une école pour mieux comprendre les prétentions salariales de certains jeunes diplômés reçus en entretien.

L’école m’a confirmé que ces demandes correspondaient à la fourchette haute qu’ils donnent à leurs étudiants. Sauf que pour une PME comme nous, il est impossible de s’aligner”, regrette-t-elle. 

La loi de l’offre et de la demande

Mais ces prétentions salariales élevées sont-elles le seul fruit des grandes écoles de commerce ou d’ingénieur ? Pas si sûr. “Je le vois aussi pour des jeunes sortis d’un DUT de génie civil par exemple qui demandent 50K, tout simplement car nous avons une pénurie de candidats dans les métiers de conducteur de travaux”, affirme la DRH d’Isospace.

C’est tout simplement la loi de l’offre et de la demande”, observe Emilie Narcy, HR & Operations Director chez Approach People Recruitment. La rareté des connaissances et compétences a nécessairement un prix. Les dynamiques observées sont donc fonction d’un secteur d’activité, d’une géographie etc. 

Chez Saint-Gobain, le constat est finalement mesuré. Sur la masse des 2000 alternants qui entrent chaque année dans le groupe, 800 sont bac +4 ou 5, et le reste sont non cadres. “De façon globale, sur la masse des jeunes que nous accueillons, ces fortes prétentions ne sont pas une généralité. Les non cadres sont souvent plus attachés au territoire et moins mobiles. Leurs prétentions salariales ne sont pas exorbitantes car ils cherchent avant tout à obtenir des opportunités près de chez eux”, tempère Isabelle Bonhomme. 

Quelles sont les pistes pour mieux gérer sa négociation avec un jeune aux fortes prétentions ?

Lorsque l’entreprise ne peut pas s’aligner sur le salaire, que lui reste-t-il pour convaincre un jeune de la rejoindre ? Pour nos différents interviewés, rares sont finalement ceux qui demeurent butés (même si cela existe). Il existe à ce titre différentes stratégies pour mieux capter cette population : 

1. Expliquer qu’on ne recrute pas qu’un diplôme mais des compétences

Certes, les jeunes emmagasinent des connaissances lors de leurs études, mais l’expérience s’acquiert au fil du temps, en étant confronté à des situations de crise par exemple. “Pour ma part, j’explique aux jeunes que les entreprises ont avant tout besoin de compétences, qui sont la somme des connaissances et de l’expérience. Il y a beaucoup d’autres paramètres qui entrent en jeu pour gérer la pression notamment”, affirme Emilie Narcy.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle encourage vivement les jeunes candidats à valoriser des expériences autres que celles connues dans le cadre de leurs études (activité extra scolaire, une expérience de vie à l’étranger…) 

2. Expliquer l’intégralité du package

Si la base de salaire fixe n’est pas nécessairement grandiloquente, l’entreprise peut miser sur ses autres avantages : actionnariat salarié, participation, plan d’épargne, primes variables, formation, avantages en nature… “Chez Saint-Gobain, nos salaires ne sont pas forcément un avantage compétitif. En revanche, quand on met bout à bout tous nos éléments de rémunération, nous arrivons à des packages compétitifs”, explique Isabelle Bonhomme. 

De plus, des éléments comme le travail hybride, l’autonomie, l’expérience conférée par tel ou tel poste, les valeurs de l’entreprise, sa politique RSE… “tout cela résonne dans la tête des jeunes diplômés”, affirme Emilie Narcy. 

3. Faire preuve de transparence et visibilité

C’est certainement l’élément le plus fondamental ! La transparence se joue dès l’embauche, avec l’affichage des fourchettes de salaire puis idéalement la possibilité pour le jeune de se projeter dans les 5 années à venir. Pour ce faire, on peut divulguer la grille de rémunération et expliquer comment atteindre les prochaines étapes. 

Chez Saint-Gobain, il existe une politique de rémunération dynamique chez les moins de 30 ans, promesse qui fait l’objet d’un pilotage spécifique et qui est tenue année après année. Les “Young Talent Days” sont également organisés deux fois par an pour répondre à toutes les questions des jeunes salariés, y compris en matière de rémunération (“comment sont décidées les rémunérations ?”, “à qui puis-je en parler ?” “de quoi est composée ma rémunération ?”). 

L’entreprise abrite également un Graduate Program pour les jeunes financiers issus du top 4 des écoles de commerce. “Ce programme se compose de trois missions d’un an dont une à l’étranger. Ces jeunes démarrent à 45K de salaire fixe, mais leur mobilité accélérée leur permet d’envisager une progression rapide en responsabilités et en salaire”, atteste Isabelle Bonhomme. 

4. Encourager les jeunes à consulter les sites de référence

Pour éduquer les jeunes au marché, et les encourager à ne pas se baser uniquement sur les référentiels des écoles, “on peut aussi les inviter à rechercher de l’information sur des sites de référence”, recommande Laurent Girard-Claudon.

-Il peut s’agir de Glassdoor, qui publie les véritables salaires pratiqués dans les entreprises.

-Du contact direct avec d’anciens alumnis, afin de connaître leur rémunération plusieurs années après leur sortie d’étude.

-Des agences de recrutement, qui possèdent une vision à 360 du marché.

-Des outils d’IA générative, qui peuvent synthétiser un grand nombre de données en croisant un niveau d’études et un métier.

-Des fourchettes présentes dans les annonces qui évitent les frustrations, bien qu’il faille avoir conscience que les jeunes vont avoir tendance à viser le sommet de cell-ci.

A retenir

Au final, tout cela relève d’un véritable jeu d’équilibriste, mais on arrive souvent à rattraper ces jeunes en mettant dans la balance d’autres points. À ce titre, la transparence des rémunérations, et surtout, la possibilité pour les jeunes de se projeter dans une évolution au sein de l’entreprise dans les prochaines années, sont autant d’éléments prépondérants pour éviter tout salaire… mirobolant !

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