Comment se préparer à l’ère de la transparence en phase de recrutement

19/6/2024
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D’ici 2026, toutes les offres d’emploi devront afficher la couleur

Ca y est, nous sommes en 2026, et la Directive européenne est passée par là. Qu’est-ce qui change par rapport à aujourd’hui ? Leslie Nicolaï, Associée fondatrice du cabinet Factorhy avocat, nous rapporte les trois changements majeurs auxquels il convient de se préparer : 

  1. Les candidats auront systématiquement accès à la rémunération initiale, ou à la fourchette de rémunération sur l’annonce.
  2. Les entreprises devront obligatoirement fournir les informations sur la Convention collective de branche et les avantages qu’elle peut conférer (primes, treizième mois, prime d’ancienneté etc). 
  3. Il sera interdit de demander au candidat son historique de rémunération.
Souvent, les entreprises sondent les candidats, et parlent de rémunération sur profil. Demain, ce sera impossible” - Leslie Nicolaï, Associée fondatrice du cabinet Factorhy avocat

Mais que se passera-t-il en cas de non-respect de ces nouvelles exigences ? Si Leslie Nicolai ne prétend pas avoir une boule de cristal, elle présuppose que les cas de contentieux seront certainement rares, puisqu’il n’est pas fréquent qu’un candidat se retourne contre une entreprise. “Mais si l’affaire était portée devant la justice, on peut imaginer que le montant des dommages et intérêts sera relativement limité, dans la mesure où ils ne peuvent indemniser que le préjudice subi qui ne sera pas aisé à démontrer. Au-delà, afin de renforcer cette obligation, il n’est pas impossible que le législateur institue une peine contraventionnelle, telle qu’une contravention de 4ème classe”, avance-t-elle.

Dans tous les cas, la transparence étant devenue la norme, on peut gager qu’une entreprise qui ne respecterait pas les règles du jeu serait peu attractive.

La fin de la négociation ?

En France, la part des offres d’emploi affichant le salaire a "presque doublé" depuis 2019 selon une enquête Indeed datant de mai 2023. Désormais, plus d’une offre sur deux annonce la couleur selon l’Institut de recherche d’Indeed. D’ici trois ans, ce sera carrément devenu une obligation.

Je trouve que c’est un excellent point que le candidat puisse se positionner immédiatement afin que personne ne perde son temps”, analyse Caroline Diard, enseignante-chercheure au sein de TBS Education. 

“Bien sûr, afficher les salaires dès l’annonce permet d’évacuer le sujet dès le démarrage du recrutement” - Camille Goni, Head of Talent Acquisition, ne peut que confirmer empiriquement.

La fintech qui l’emploie fait partie des précurseurs en matière de transparence des salaires, puisque ses grilles de rémunération sont accessibles en interne comme à l’externe. L’entreprise a même lancé une calculatrice permettant au candidat de savoir ce qu’il va gagner au centime près. Pour autant, après plusieurs années de pratique, notre interlocutrice se veut mesurée : “nous avons toujours des candidats qui négocient, notamment par rapport aux différents niveaux qui sont établis et permettent de gagner plus ou moins”, nuance-t-elle. 

La bonne idée à chiper : Chez Odoo, un configurateur de package permet au collaborateur de croiser des informations allant de son salaire à ses avantages en nature en passant par son nombre de congés.

Dans le secteur de la communication, l’agence Wellcom nous livre un autre regard sur la transparence des salaires. Depuis la fin de la pandémie, cette agence de 90 collaborateurs a décidé d’afficher le salaire d’embauche dès l’annonce, en se fixant sur une grille établie en interne, qu’elle ne communique cependant pas à l’externe par rapport à ses concurrents.

Ce qui est intéressant, c’est que nous pouvons challenger notre benchmark grâce à nos recrutements. Si on sent un manque d’attractivité de nos annonces, on peut le faire évoluer. Pour autant, à poste égal, nous payons de manière identique un candidat et un collaborateur en interne. De ce fait, cela nous donne une posture assez ferme en matière de négociation”, nous explique Lyse Charbonnier, responsable RH.

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Des offres ciblées au maximum

D’ici 2027, on peut donc imaginer un monde dans lequel les process de recrutement seraient plus rapides, car en affichant le salaire dès l’offre, cela permettrait d’aiguiller les candidats sur la pertinence de leur candidature. On peut aussi présupposer que cela exigerait des employeurs qu’ils soient parfaitement au clair sur leurs attentes et besoins.

En resserrant au maximum la fourchette de salaire, on écarterait de fait certains profils, par rapport à un niveau de séniorité par exemple. 

Pour que la transparence des salaires soit vraiment efficace dans les annonces, encore faut-il que les fourchettes ne soient pas trop larges” - Caroline Diard, enseignante-chercheure au sein de TBS Education

Mais n’est-ce pas là l’assurance d’une plus grande efficacité, et surtout, d’une plus grande égalité entre les candidats ? C’est en tout cas le retour d’expérience de Shine. “On peut dire que l'accueil des candidats est positif, notamment pour celles et ceux qui ont du mal à se vendre. Certains d'entre eux se retrouvent avec un salaire plus haut que celui espéré”, ajoute Camille Goni.

Un effet gagnant-gagnant puisqu’en jouant la transparence totale, Shine affiche un taux d’acceptation des offres est extrêmement élevé en phase de recrutement (94% en 2023 !). 

“Je n’ai jamais négocié mon salaire, partant du principe qu’on me proposerait quelque chose de juste. En revanche, j’ai toujours expliqué au recruteur que je n’hésiterais pas à claquer la porte de l’entreprise si je découvrais que l’on ne m’avait pas traité équitablement” - Virgile Raingeard, CEO de Figures

De son côté, Lyse Charbonnier atteste aussi de l’appétence des candidats pour la transparence dans un secteur connu pour son opacité : “la transparence fluidifie beaucoup le discours du côté des candidats, c’est vraiment très bien accueilli”. C’est aussi une manière pour l’agence de s’imposer un vrai cadre lors de ses recrutements. “Auparavant, on pouvait faire fluctuer les salaires dans les annonces selon l’état du marché ou les résultats de l’agence, mais désormais, respecter notre grille impose de facto une rémunération égale à poste et expérience équivalentes. En revanche, il a pu nous arriver de revaloriser notre grille en interne pour ne pas créer de décalage avec le marché”, ajoute-t-elle.

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Un effet inflationniste ou déflationniste ?

Le point souligné par Lyse Charbonnier interroge fortement : comment parvenir à maintenir l’équilibre entre l’attractivité de l’entreprise pour les nouveaux entrants, et le fait que les collaborateurs en place ne se sentent pas lésés ?

Pour Virgile Raingeard, il ne faut pas oublier que changer de boîte est toujours plus rémunérateur que de rester en poste (puisqu’une entreprise ne peut pas augmenter de 20% tous ses salariés en même temps). “Il existe effectivement un coût au changement pour un candidat. Pour l’attirer, il y a toujours une prime à l’acquisition, comme pour les forfaits mobile”, illustre le CEO de Figures.

Alors, les salaires vont-ils s’accroître drastiquement du côté des nouveaux entrants ?

C’est une crainte que je rencontre souvent chez mes clients au sujet de la transparence des salaires : ils anticipent un effet inflationniste car les entreprises vont se comparer les unes aux autres”, témoigne Sandrine Dorbes, experte en stratégie de rémunération et conférencière sur les sujets liés à l’argent.

Dans les faits, on a pu constater un tel impact sur les salaires des hauts dirigeants et mandataires sociaux lorsqu’ils ont été rendus publics. “Mais c’est un monde à part. Par exemple, on ne peut pas imaginer sérieusement que les salaires dans la restauration montent à 80K par exemple, il y a une réalité économique derrière. Je crois plutôt à un tassement même s’il y aura peut-être une période de turbulences”, poursuit-elle.

Surtout, elle pense que la course va se jouer sur d’autres aspects de la rémunération que le salaire, comme les avantages sociaux, le télétravail, l’équilibre de vie pro/perso.

Dans le même temps, d’autres observateurs anticipent l’inverse, soit un effet déflationniste, mais plutôt en interne. “Il est vrai que des études ont montré que la transparence réduisait l’écart salarial H/F au détriment des hommes, c’est-à-dire en décélérant leur progression”, rapporte Virgile Raingeard, notre CEO. Au final, sa conviction personnelle sur le sujet est que différentes dynamiques pourront s’observer selon le point de départ de l’entreprise. D’un côté, les salaires très en dessous du marché, et qui étaient jusque-là masqués par une forme d’opacité, devraient remonter.

De l’autre, les entreprises ne pourront plus augmenter comme elles le voulaient les top performeurs et seront obligées d’harmoniser ces augmentations (à moins d’assumer une politique très offensive sur les bonus à la performance ?). 

Ce que l’on peut donc retenir de ce sujet complexe, c’est que la transparence inter-entreprises devrait augmenter encore davantage la mobilité des talents. “Si on combine les entreprises qui paient mal et les top performeurs qui vont être encore plus tentés d’aller voir ailleurs si les écarts se resserrent en interne, on va constater une hausse du turnover”, analyse Virgile Raingeard. 

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