La France s'apprête à renforcer son engagement de longue date en faveur de l'équité salariale grâce à la mise en œuvre de la directive européenne sur la transparence salariale, s'appuyant sur son solide cadre d'Index de l'égalité professionnelle. Avec une législation attendue d'ici septembre 2025, les employeurs français font face à des obligations élargies de divulgation des données salariales, d'analyse des écarts de rémunération et de correction des disparités.
Cadre législatif et calendrier
L'implémentation française intègre la directive européenne dans la Loi Avenir Professionnel (2018) et la Loi Rixain (2021), créant l'un des régimes de transparence salariale les plus complets d'Europe. Les étapes clés comprennent :
- 7 juin 2026 : Date limite de mise en œuvre pour tous les États membres de l'UE.
- Septembre 2025 : Transposition attendue de la directive européenne dans le droit français.
- 1er mars 2026 : Premiers rapports de l'Index de l'égalité professionnelle intégrant les métriques mandatées par l'UE.
- Juin 2027 : Premiers rapports sur les écarts de rémunération alignés sur l'UE pour les employeurs de 250+ employés.
La France maintiendra son système de notation de l'Index de l'égalité professionnelle tout en ajoutant les exigences de la directive, créant un modèle hybride. Le seuil de 75 points pour les mesures correctives demeure, mais les écarts de rémunération inexpliqués dépassant 5% déclenchent désormais des audits supplémentaires mandatés par l'UE. Alors que la date limite européenne est fixée à juin 2026, la France a choisi d'accélérer le processus avec une transposition attendue dès septembre 2025, comme l'a annoncé la ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes.
Obligations renforcées en matière de transparence
Recrutement et divulgation des salaires
Le projet de loi introduit trois changements clés dans les pratiques d'embauche :
- Toutes les offres d'emploi doivent inclure des fourchettes de salaire minimum et maximum, y compris pour les postes temporaires et à distance.
- Les employeurs sont interdits de s'enquérir de l'historique salarial des candidats pendant le recrutement. Cette interdiction, qui sera bientôt inscrite dans la loi française, s'aligne sur les meilleures pratiques en matière d'équité salariale, reconnaissant que les questions sur l'historique salarial perpétuent souvent les inégalités existantes.
- Les conventions collectives (CCT) affectant la rémunération doivent être mentionnées dans les avis de vacance.
Expansion des droits des employés
Les employés obtiennent de nouveaux droits pour :
- Demander des chiffres de salaire médian ventilés par genre pour leur rôle et des postes comparables dans un délai de 30 jours.
- Accéder à des explications détaillées sur les critères de rémunération variable (bonus, stock-options) et les processus de promotion.
- Discuter ouvertement de leur rémunération sans crainte de représailles, annulant toute clause existante de confidentialité salariale.
Pour les employeurs français, l'enjeu sera de répondre à ces nouvelles demandes d'information tout en maintenant un équilibre délicat entre transparence et protection des données personnelles.
Exigences de reporting échelonnées
Le cadre français combine les seuils de l'UE avec son système d'index existant :
Employeurs de 250+ employés :
- Rapports annuels sur les écarts de rémunération selon l'UE à partir de juin 2027.
- Doivent divulguer les disparités entre les genres dans les allocations d'options d'achat d'actions et les primes d'affectation internationale.
- Publier la distribution de la main-d'œuvre à travers les quartiles de rémunération par genre et groupe d'âge.
Employeurs de 150 à 249 employés :
- Reporting triennal à partir de juin 2027.
- Divulguer les écarts de rémunération médians entre les genres et les ajustements salariaux au retour du congé de maternité.
Employeurs de 100 à 149 employés :
- Reporting triennal à partir de juin 2031.
- Rapporter les écarts de rémunération moyens et fournir des justifications pour les disparités dépassant 5%.
Tous les employeurs de 50+ employés doivent continuer à publier leur Index de l'égalité professionnelle annuellement avant le 1er mars, incluant désormais :
- L'écart de rémunération entre les genres en compensation horaire vs annualisée.
- La représentation des femmes dans les programmes de développement à haut potentiel.
- Les taux d'utilisation des modalités de travail flexibles par genre.
Protocole de correction des écarts de rémunération
Le système français à double seuil déclenche le processus de correction le plus rigoureux d'Europe :
1. Score d'Index inférieur à 75
- Négociation obligatoire avec le Comité Social et Économique (CSE) dans les 3 mois.
- Allocation requise de 1% de la masse salariale aux mesures correctives si non résolu pendant 3 années consécutives.
2. Écart de rémunération inexpliqué > 5%
- Évaluation conjointe de la rémunération avec les représentants des employés dans les 6 mois.
- Obligation d'égaliser les salaires dans les 12 mois ou faire face à des sanctions progressives :
- Première infraction : amende de 25 000 €
- Récidives : jusqu'à 1% du chiffre d'affaires annuel
Intégration aux systèmes existants
La France harmonise les exigences de l'UE avec deux mécanismes établis :
1. Améliorations de l'Index de l'égalité professionnelle
L'index de 100 points s'élargit pour inclure :
- Analyse intersectionnelle des écarts de rémunération par âge et statut de handicap (15 points supplémentaires).
- Métriques de progression de carrière suivant le mouvement des postes de débutant aux postes de direction (10 points).
L'Index de l'égalité professionnelle, pierre angulaire du dispositif français depuis 2019, va connaître une évolution significative pour intégrer les nouvelles exigences européennes.
2. Reporting de parité de la Loi Rixain
Les entreprises de 1 000+ employés doivent désormais :
- Atteindre 40% de représentation féminine dans les comités exécutifs d'ici 2029.
- Lier 20% des bonus des dirigeants aux KPI de parité des genres.
Application et conformité
L'Inspection du travail obtient une nouvelle autorité pour :
- Mener des audits inopinés des registres de paie.
- Exiger une certification par des tiers des calculs d'écart de rémunération.
- Publier les entreprises non conformes sur un registre public.
Les protections des employés sont renforcées par :
- Présomption de discrimination dans les cas de disparité salariale, sauf justification objective.
- Actions collectives rendues possibles pour les violations systémiques d'écart de rémunération.
- Protections des lanceurs d'alerte pour les employés signalant des violations de transparence.
Étapes de préparation stratégique
Alignement de la structure de rémunération
- Cartographier les rôles en utilisant la Grille de Classification, le cadre obligatoire de classification des emplois en France.
- Mener des audits préventifs des allocations de rémunération variable et des taux de promotion.
L'utilisation de la Grille de Classification française devrait s'accompagner d'une révision méthodique des grilles salariales pour garantir leur neutralité de genre et leur équité.
Mises à jour du processus de recrutement
- Mettre en œuvre des calculateurs automatisés de fourchettes salariales pour les offres d'emploi.
- Former les responsables du recrutement sur les questions d'entretien interdites et les techniques d'atténuation des biais.
Mises à niveau des systèmes de données
- Développer des systèmes intégrés suivant :
- La rémunération horaire vs annualisée par genre
- L'utilisation du congé parental et son impact sur la progression de carrière
- Créer des modèles de reporting bilingues (français/anglais) pour les groupes multinationaux.
Engagement des partenaires sociaux
- Négocier des dispositions de CCT mises à jour abordant les exigences de transparence.
- Organiser des sessions de formation conjointes avec les CSE sur les méthodologies d'audit de rémunération.
Contextualisation du paysage d'équité salariale en France
Malgré un écart de rémunération entre les genres de 9,9% en 2024, la France est en tête dans plusieurs métriques d'équité :
- 46% de représentation féminine dans les conseils d'administration (contre une moyenne de 34% dans l'UE).
- 78% des entreprises ont atteint des scores d'Index de 75+ en 2024.
Des défis persistants demeurent dans :
- Le secteur technologique : écart de bonus entre les genres de 18% aux niveaux supérieurs.
- La rémunération des dirigeants : les femmes n'occupent que 22% des postes de PDG dans les entreprises du CAC 40.
Conclusion
La mise en œuvre par la France de la directive européenne crée le régime de transparence salariale le plus complet d'Europe, combinant des exigences de reporting rigoureuses avec des protocoles de correction agressifs. Les professionnels de la rémunération doivent prioriser les audits de structure de rémunération, les mises à niveau des systèmes de données et l'engagement proactif avec les CSE.
En s'appuyant sur l'infrastructure d'équité existante de la France tout en répondant aux nouvelles normes de l'UE, les employeurs peuvent transformer les obligations de transparence en avantages stratégiques. Ceux qui adoptent ce cadre dual de manière précoce assureront non seulement la conformité, mais se positionneront également comme des leaders dans la course mondiale pour le talent et les pratiques équitables sur le lieu de travail.
Avec la législation finale attendue d'ici septembre 2025, le moment de se préparer est venu. Les organisations qui prospéreront seront celles qui considèrent la transparence non pas comme un fardeau de conformité, mais comme un catalyseur pour le renouvellement organisationnel et la confiance des employés.