Les Français sont "désalignés" au travail, mais qu'est-ce que cela signifie ?
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Génération désalignée : comment retrouver l’enchantement au travail ?
54% des Français ne se sentent pas “alignés” avec leur travail selon un baromètre réalisé par Ignition Program. Mais si l’on entend régulièrement ce terme, personne ne sait véritablement de quoi il s’agit. Alors, qu'y a-t-il derrière ce grand désalignement dont la presse parle si souvent ? Quelle est la source de ce mal très contemporain ? Et que peuvent faire les entreprises ?
Bien qu’elle n'ait pas véritablement eu lieu dans l’hexagone, le spectre de la Grande Démission semble encore planer sur la France. Pour preuve : on n’a jamais autant parlé de ce fameux “désalignement” dont souffriraient les salariés français, et qui causerait a minima du désengagement, a maxima, des burnout et démissions en cascade. Mais de quoi parle-t-on vraiment ? Quelle est la racine de ce mal qui semble ronger plus de la moitié des Français ?
Si l’on en revient à l’étymologie du mot “alignement”, celui-ci décrit l’action de “ranger sur une ligne droite”. Pour Krystyna Waroquier, ex-DRH devenue spécialiste en accompagnement émotionnel, cet alignement se retrouve à l’échelle de l’individu dans sa capacité à respecter ce qu’il pense et ce qu’il ressent.
“En outre, être désaligné, c’est se retrouver en conflit intérieur. Le corps se charge alors d’envoyer des signaux d’alarme. C’est justement lorsqu’on ne parvient pas à entendre ces maux à répétition qu’on peut arriver au burnout”
Pour notre experte, parvenir à cet alignement tant espéré requière un travail de connaissance de soi pour identifier ses propres besoins (physiques, psychologiques, émotionnels, spirituels et existentiels). Cela nécessite aussi d’être au clair sur ses valeurs. Or, pour parvenir à cet objectif ultime - soit la liberté “de vivre en vérité” - il faut selon notre experte être capable de prendre les décisions qui permettent de respecter ses besoins, et se mettre régulièrement en action pour se déployer pleinement dans ses capacités.
Redonner du pouvoir d’agir
À première vue, le sujet du désalignement semble éminemment individuel. Mais pour Krystyna Waroquier, le désalignement au travail est une thématique qui concerne tout autant l’individu que le collectif. “Quand j’étais DRH, ce n’était pas les facteurs de motivation qui m’intéressaient, mais plutôt ce qui avait créé de la démotivation chez un salarié dont je ne sentais plus la même détermination au travail”, explique t-elle. Cette spécialiste en conseil RH rappelle aussi que les employeurs ont le devoir d’assurer l’employabilité de leurs collaborateurs afin de libérer leur potentiel pour qu’ils demeurent alignés avec leurs aspirations profondes.
Encadré : Les 5 leviers de motivation essentiels selon le baromètre Ignition Program
- Le plaisir au travail,
- Un équilibre vie professionnelle/vie personnelle satisfaisant,
- La confiance mutuelle,
- La liberté d’organisation,
- Et un environnement de travail respectueux.
En matière de déploiement du potentiel, Pascale Fotius, Directrice Projets People & Change chez Oasys, et spécialiste des Politiques et de l’Innovation RH, insiste de son côté sur la nécessité de mettre en place un management “capacitant” pour redonner du pouvoir d’agir aux collaborateurs. “Je ne sais pas si le mot “désalignement” est le bon. J’observe plutôt des “désarticulations” dans les organisations”, observe-t-elle. La source du problème selon l’experte ? Un management encore trop peu inclusif et éloigné du “vrai” travail, soit le fonctionnement concret des organisations vu comme l’ensemble des approches et stratégies que développent les acteurs - individuels et collectifs - qui entrent en relation autour des problèmes à résoudre, et mobilisent pour cela des ressources tout en affrontant des contraintes.
Passer de la raison d’être à la raison d’en être
Pour notre experte, il est aujourd’hui nécessaire de penser tout autant à la “raison d’être” de l’entreprise, qu’à la “raison d’en être”. En ce qui concerne la raison d’être, elle perçoit aujourd’hui trois axes porteurs de sens pour les collaborateurs : la place des politiques de développement durable dans les entreprises, un meilleur équilibre vie pro/perso, et le passage à une structure apprenante. “L’objectif étant que l’on donne aux salariés la possibilité de s’épanouir tout en étant efficaces. Car en réalité, tout le monde aime faire son travail (culture du travail bien fait”, affirme-t-elle. C’est là qu’intervient la notion de management capacitant, ou la possibilité pour les collaborateurs de pouvoir performer car leur entreprise leur prodigue le bon terreau pour grandir.
Pascale Fotius parle ainsi d’un point de bascule, celui de la “raison d’en être”. Pour donner envie aux collaborateurs de s’engager durablement, il s’agit selon elle de rompre avec la bureaucratisation envahissante qui n’a toujours pas disparu de nos organisations (bien au contraire !), comme l’a dénoncé François Dupuy dans son ouvrage Lost in management, la vie quotidienne des entreprises au XXIème siècle.
“Les managers sont empêtrés dans la réunionite et les reportings, et se détournent du réel du travail et du réel des individus. Or, cette absence de dialogue régulier avec les collaborateurs sur l’opérationnel ne permet pas aux managers de s’assurer que leurs équipes sont en situation de pouvoir délivrer correctement leur travail”
À la place, elle encourage plutôt l’instauration d’un dialogue permanent avec les équipes à travers une culture “bottom-up” (ascendante).
Des dirigeants éclairés pour davantage de salariés alignés
Pour créer les conditions propices à l’alignement de tout un chacun, encore faut-il que “les dirigeants soient émotionnellement matures pour opérer ce changement de paradigme”, estime Krystyna Waroquier. Entrepreneur depuis 2007, Dario Guccione, Directeur de Builtec, nous livre à ce sujet un témoignage fort intéressant. Il nous explique que durant les dix premières années de développement de son activité, il a concédé 80% de son temps à des missions alimentaires, et 20% à des missions plaisir. Jusqu’à ce qu’une rencontre avec un fournisseur fasse totalement basculer son ratio. “À partir de ce moment- là, tout s’est aligné. C’est comme si j’avais fini par attirer à moi ce dont je rêvais depuis toujours : accéder au marché des engins de construction qui me passionnait. Alors, malgré les difficultés personnelles et économiques, j’ai persévéré. C’est vrai que quand on reste fidèle à soi, il y a souvent un prix à payer et c’est pour cela que tant de personnes n’osent pas emprunter ce chemin. Mais à presque 50 ans, je me sens totalement droit dans mes bottes, tandis que mes anciens camarades de promotion semblent essorés par leurs 25 années en tant que cadres dans des structures où ils ne se sentent pas pris en considération. Pour ma part, ma liberté de penser et de choisir est ce que j’ai de plus précieux”, témoigne-t-il.
Une liberté d’être qu’il tente de transmettre désormais à ses salariés, même s’il le concède, il a fait beaucoup d’erreurs jusqu’ici en tant que dirigeant ! Et de conclure :
“Je ne suis pas une entreprise de l’économie sociale et solidaire, mais j’essaie de respecter mes valeurs en contribuant à baisser l’empreinte carbone des constructeurs autoroutiers. Ce qui m’importe, c’est que le bilan soit positif et que mon équipe s’amuse au quotidien. Et pour cela, j’ai appris à me reconnecter à mes tripes et mon intuition. Aujourd’hui, je me sens plus aligné que jamais”.