Pourquoi il faut cesser de demander l'historique de rémunération à un candidat

16/1/2025
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Pour certains, il s’agit d’une pratique d’un autre temps. Mais pour d’autres, demander à un candidat son salaire actuel demeure un réflexe. Pourtant, cela ne correspond pas aux réalités contemporaines du marché de l’emploi, et cela sera même bientôt interdit dans un futur proche avec l’arrivée de la Directive européenne sur la transparence des rémunérations.

Une pratique dépassée, mais ancrée dans certaines entreprises

Demander à un candidat son historique de rémunération, voire carrément sa fiche de paie : voilà une pratique en cours d’extinction. "Personnellement, je l’ai fait au début de ma carrière par manque de connaissance et par automatisme. Je n’avais ni la formation, ni la séniorité que j’ai aujourd’hui. À l’époque, on ne savait pas toujours comment aborder le sujet de la rémunération, alors on commençait par demander le dernier salaire, même si ce n'était pas pertinent", nous confie Danielle Celestino, Consultante en ressources humaines chez Engie.

Les métiers des ressources humaines, bien qu’essentiels, ne sont effectivement pas toujours valorisés ni respectés au même titre que d’autres professions comme l’ingénierie. Cela a conduit à une certaine improvisation dans les pratiques de recrutement, surtout pendant les périodes de croissance rapide comme le boom des startups de 2019. De nombreux recruteurs, sans formation RH spécifique, ont adopté des méthodes simplistes et parfois inadaptées.

Directrice des RH et Opérations chez Approach People Recruitment, Emilie Narcy nous livre un témoignage sensiblement identique. “Demander l’historique de rémunération ? Je l’ai fait également à mes débuts, jusque dans les années 2000. Mais si je trouve cela dépassé, je constate que certains de mes clients continuent à nous demander cette information”, témoigne-t-elle. 

L’exception qui confirme la règle

Si Emilie Narcy ne demande pas l’historique de rémunération, il lui arrive cependant de creuser la part variable d’un commercial par exemple lorsqu’elle constate une incohérence entre les prétentions de ce dernier et le chiffre d’affaires généré au sein de son ancienne entreprise. “Parfois, on voit que le niveau de variable ne correspond clairement pas : donc soit la personne était beaucoup trop payée, voire pas assez payée dans son poste précédent”.

Pourquoi est-il risqué de demander l’historique de rémunération ?

1. Une pratique discriminatoire et inégalitaire

C’est un fait avéré : demander l’historique salarial perpétue des inégalités historiques, notamment en matière de genre. Des études ont montré que les femmes, qui commencent souvent leur carrière avec un salaire inférieur en raison de discriminations passées, reçoivent des offres plus faibles lorsqu'elles partagent leur historique de rémunération.

"Quand on pose cette question, on risque de reproduire les écarts de rémunération de genre. En demandant le salaire antérieur, on perpétue des biais historiques et des discriminations", regrette-t-elle. 

Aux États-Unis, cette pratique est déjà illégale dans plusieurs États, précisément pour éviter ces disparités. Les recruteurs doivent se concentrer sur les compétences, l'expérience et la valeur ajoutée des candidats, plutôt que de se baser sur des chiffres souvent biaisés. En France, cela sera également bientôt interdit avec la transposition de la Directive européenne sur la transparence des rémunérations.

L’antidote : En éliminant la question de l'historique de rémunération, les entreprises peuvent rompre avec les pratiques discriminatoires et contribuer à réduire les écarts salariaux. 

2. Une évaluation biaisée des compétences

L’historique de rémunération ne reflète pas nécessairement les compétences ou le potentiel d’un candidat. Le salaire d’un employé peut varier considérablement en fonction du secteur, de la taille de l’entreprise, ou encore de la localisation géographique. Se baser sur ce chiffre pour formuler une offre comporte le risque de passer à côté de l’essentiel : l’évaluation des aptitudes et de l'adéquation au poste.

"On ne peut pas calquer l’expérience passée d’un candidat dans un nouveau contexte", pointe Emilie Narcy. 

L’antidote : Les recruteurs doivent plutôt se concentrer sur des critères objectifs tels que les compétences, l'expérience et le potentiel du candidat. Cela permet de bâtir une grille salariale cohérente et compétitive, alignée sur le marché.

3. Un frein à la transparence et à l’attractivité

Lorsque les entreprises demandent l'historique salarial, elles donnent l'impression de chercher à offrir le moins possible plutôt qu'à valoriser le potentiel du candidat. Cette perception peut dissuader les talents de postuler. Par ailleurs, des études montrent que les offres d'emploi incluant une fourchette salariale attirent davantage de candidats qualifiés. En affichant clairement leurs intentions, les entreprises réduisent le stress et les conjectures des postulants.

L’antidote : Recruter en se basant sur des benchmarks salariaux adaptés au marché plutôt que sur des données historiques permet d’offrir des rémunérations justes. Cela favorise la satisfaction des employés dès leur arrivée, ce qui contribue à une meilleure intégration et réduit le turnover. Comme le souligne Danielle Celestino, "souvent, quand on continue de payer en se basant sur l’ancien salaire, les employés rentrent moins motivés et partent plus tôt."

Des alternatives concrètes

Pour abandonner la pratique de l’historique de rémunération, les entreprises doivent structurer leurs processus de recrutement autour de nouvelles approches :

1. Réaliser un benchmark salarial

Avant même d’ouvrir un poste, il est essentiel de mener une étude de marché pour identifier les pratiques salariales du secteur. “Cela permet de définir une fourchette juste et compétitive, adaptée à la taille et au secteur de l’entreprise”, souligne Danielle Celestino.

Ces benchmarks sont essentiels en matière d’attractivité et de rétention. Cela s’est vraiment vérifié lors du pic d’inflation. Si l’on paie sous le marché, on s’expose à une chasse de ses talents”, renchérit Emilie Narcy.

2. Évaluer le potentiel et les compétences

Plutôt que de s'attarder sur le passé, il faut mettre en place des processus pour évaluer la valeur ajoutée et le potentiel des candidats. Cela peut inclure des tests pratiques, des études de cas, ou des entretiens approfondis.

3. Promouvoir la transparence salariale

Inclure une fourchette salariale dans les offres d'emploi est une étape clé. Cela donne aux candidats une idée claire des attentes et des possibilités, réduisant les malentendus et les pertes de temps.

Il ne faut pas avoir honte de le faire. Si l’entreprise décide de payer tant, c’est qu’elle a de bonnes raisons. Ou alors, cela indique qu’il faut qu’elle réfléchisse à ses pratiques salariales”, poursuit Emilie Narcy.

4. Privilégier les discussions ouvertes

Encourager des échanges honnêtes sur les attentes salariales des deux parties permet d’aligner les visions dès le départ. Comme le rappelle Emilie Narcy, "le salaire que l'on va offrir ou que le candidat souhaiterait avoir est encore trop tabou. Parler d'argent est pourtant une réalité économique essentielle, tant pour les entreprises qui doivent jauger le coût de leur masse salariale par rapport à leurs investissements, que pour les employés qui ont leurs propres contraintes comme l’achat d’une maison par exemple".

En se focalisant sur les prétentions et non pas l’historique, on augmente les chances de succès du recrutement. Cela permet aussi parfois de se rendre compte qu’un candidat se surestime potentiellement par rapport au marché.

“Il est temps de considérer les RH comme un levier stratégique”

Demander l’historique de rémunération à un candidat est une pratique obsolète qui nuit à l'équité, et prive les entreprises de nombreuses opportunités. En privilégiant une approche basée sur les benchmarks du marché, la transparence et l'évaluation des compétences, les recruteurs peuvent non seulement attirer les meilleurs talents, mais aussi contribuer à un environnement de travail plus équitable et motivant.

Il est temps de considérer les ressources humaines comme un levier stratégique de transformation, et non comme une simple fonction opérationnelle”, conclut Danielle Celestino.

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