Quels sont les biais qui minent les politiques de rémunération ?

12/2/2025
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Les biais cognitifs, ça vous parle ? Et bien sachez qu’ils sont aussi à l'œuvre dans tous les sujets ayant trait à la rémunération. À l’occasion de la sortie de son ouvrage Recrutement sous influence: Libérez-vous des biais cognitifs, Marie-Sophie Zambeaux nous aide à les débusquer… et surtout à les contrer. 

Qu’est-ce qu’un biais cognitif ?

Un biais cognitif n’est ni un cliché, ni un stéréotype, pas plus qu’une discrimination. Il s’agit avant tout d’un phénomène inconscient qui nous touche toutes et tous. “Un biais est une distorsion que subit une information en entrant dans le système cognitif ou en sortant.  Dans le premier cas, le sujet opère une sélection des informations, dans le second, il réalise une sélection des réponses”, explique l’experte. 

En version pour les nuls, cela signifie que notre cerveau prend des libertés sans nous prévenir pour effectuer des raccourcis, occultant une partie des informations, ou au contraire accordant une place démesurée à d’autres.

Le hic, c’est que tout cela peut nous induire en erreur. Pourtant, en matière de rémunération, les décisions devraient théoriquement reposer sur des critères objectifs : compétences, expérience, performances… “Mais parce qu'elles sont souvent biaisées, ces décisions créent des inégalités et des incohérences”, souligne Marie-Sophie Zambeaux. 

Les principaux biais à l’oeuvre en matière de rémunération

1. Le biais de confirmation

Il s’agit de l'un des biais les plus célèbres ! “Un recruteur ou un manager peut être, a priori, convaincu qu'un diplômé d'une grande école de commerce ou d'ingénieurs "mérite" un salaire plus élevé qu’un candidat issu d’une université, même si les compétences et l'expérience sont similaires”, explique l’experte. Résultat ? Il va inconsciemment chercher des éléments qui confirment cette croyance : il valorisera davantage les stages, l’aisance en entretien ou la confiance en soi du diplômé de grande école, tout en minimisant les expériences équivalentes de l’autre candidat.

2. Le biais d’ancrage

Le premier chiffre évoqué lors d’une négociation influence fortement la discussion. Si une candidate mentionne un précédent salaire bas ou en dessous du marché, il sera difficile pour elle d’obtenir une nouvelle rémunération bien plus élevée car l’employeur restera "ancré" sur ce point de départ.

3. Le biais de similarité

Les managers ont tendance à mieux rémunérer les personnes qui leur ressemblent en termes d’expérience, de parcours, voire de personnalité. “Cela perpétue des écarts de rémunération liés au genre, à l’origine sociale ou aux études suivies”, souligne Marie-Sophie Zambeaux.  Or, accorder une prime à quelqu’un parce qu’il est amateur de rugby, cela n’est pas franchement en lien avec la performance.

4. L’effet de halo

Un collaborateur perçu comme "charismatique" ou "proactif" peut être mieux rémunéré, même si ses compétences techniques ne le justifient pas. Inversement, une personne plus discrète pourrait voir son salaire sous-évalué. En outre, il existe une prime à la beauté. Les chiffres varient d’une étude à l’autre mais globalement, la rémunération des hommes jugés beaux est supérieure de 17 à 25 % à celle d’autres hommes moins “attrayants” physiquement. Cette équation ne se vérifie cependant pas totalement chez les femmes qui gagnent “seulement” 12 à 15 % de plus. Ben oui, le combo belle + intelligente, c’est encore trop pour une partie des recruteurs.

A noter qu’il existe aussi un effet de halo inversé. “Par exemple, lors d’un entretien, un candidat manque d’assurance en s’exprimant. L’employeur en conclut qu’il manque également de leadership ou de compétences, alors que son expertise technique est irréprochable”, illustre l’autrice. 

5. Le biais de récence

Il s’exprime lorsque le dernier élément perçu influence la décision de manière disproportionnée. Typiquement, un collaborateur a eu un léger échec sur un projet récent, alors que son bilan global est excellent. Lors de l’évaluation annuelle, cet échec est exagérément pris en compte, et il se voit refuser une augmentation.

Des biais qui touchent particulièrement les femmes

Certains biais inconscients jouent particulièrement en défaveur des femmes et des minorités.

-Le biais de perception : Les femmes et certaines minorités sont jugées sur leur comportement et non sur leur potentiel, ce qui freine leur progression salariale.

-Le biais de négociation : Les femmes demandent et obtiennent moins d’augmentations, en partie à cause de stéréotypes négatifs lorsqu’elles négocient.

-Le biais de maternité : Les mères sont perçues comme moins disponibles, ce qui impacte leur rémunération, alors que les pères peuvent bénéficier d’un "bonus". De la même façon, une femme qui quitte tôt le travail pour récupérer un enfant est jugée "moins investie" quand un homme est perçu comme “engagé dans sa famille”. 

Ces biais ont tendance à produire un effet “club privé” et “boys’ club”, en partie responsable du plafond de verre.

Dans certaines organisations, les promotions et augmentations sont plus souvent accordées aux profils qui s’intègrent bien dans les cercles de décision informels. De ce fait, ceux qui ne partagent pas les codes du groupe dirigeant (ex : femmes dans un environnement très masculin, personnes issues de milieux modestes, profils atypiques) sont sous-évalués”, relève Marie-Sophie Zambeaux. 

Quelques chiffres à garder en tête

Selon une étude McKinsey (Women in the Workplace, 2023), les femmes ont 14 % de chances en moins d’être promues à leur premier poste de manager, en grande partie à cause du biais de similarité et du manque de mentorat de la part des dirigeants.

Selon une enquête Payscale (2020) sur les écarts de salaire, les travailleurs issus de minorités reçoivent moins d’augmentations spontanées que leurs collègues, même à performance égale. Une des explications est que les managers perçoivent plus facilement le "potentiel" chez des collaborateurs qui leur ressemblent.

Quelles stratégies mettre en place pour lutter contre ces biais ?

Tout d’abord, Marie-Sophie Zambeaux estime qu’il faut se réjouir de l’application prochaine de la Directive Européenne sur l’égalité de salaires entre hommes et femmes. En plus d’exiger la mention d’une fourchette de salaire dans l’offre, il sera interdit de demander aux candidats leurs précédentes rémunérations.

Et pour parvenir aux objectifs fixés par la Directive, l’experte insiste sur le besoin de structuration et de méthode.

1. Définir des grilles salariales transparentes

Pourquoi ? Pour éviter que les décisions soient prises au cas par cas, influencées par des biais inconscients. 

Comment ? On met en place une grille salariale claire, avec des critères objectifs (expérience, compétences, performance), on les rend  accessibles aux employés pour plus de transparence et d’équité, et on forme les managers à justifier toute exception de manière formalisée.

2. Standardiser les processus de négociation salariale

Pourquoi ? Car le biais d’ancrage et le biais de négociation désavantagent systématiquement certains profils.

Comment ? En fixant une plage salariale non négociable pour chaque poste afin d’éviter des écarts arbitraires, en encourageant tous les employés à négocier, et en formant les managers à évaluer objectivement les demandes d’augmentation.

3. Analyser régulièrement les écarts salariaux et les corriger

Pourquoi ? Car les inégalités se cumulent avec le temps et deviennent invisibles. 

Comment ? En effectuant un audit annuel des rémunérations pour identifier et corriger les écarts inexpliqués. En comparant les salaires à expérience et poste équivalents. En mettant en place un correctif automatique pour réduire les écarts constatés.

 

4. Sensibiliser et former les managers et RH aux biais cognitifs

Pourquoi ? C’est un prérequis essentiel mais non suffisant en soi. Il faut ensuite passer à l'action et mettre en œuvre des méthodes, des grilles, de la structuration.

Comment ? En organisant des formations sur les biais cognitifs (biais de confirmation, d’ancrage, de similarité…), en sensibilisant à l’impact des stéréotypes sur l’évaluation de la performance et des rémunérations, et en intégrant ces formations dans le parcours obligatoire des managers.

Une étude de l’Université de Cornell a montré que la formation aux biais réduit de 29 % les écarts salariaux liés au genre lorsqu’elle est couplée à des processus RH transparents.

5. Mettre en place des comités de rémunération diversifiés

Pourquoi ? Parce que plus le groupe de décision est homogène, plus les biais dominent.

Comment ? En établissant un collectif pluridisciplinaire qui combine de surcroît les retours des clients. On peut aussi appliquer un double contrôle pour éviter les décisions subjectives, et enfin tester l’anonymisation des propositions d’augmentation dans certains cas.

Une étude de Catalyst a montré que les entreprises avec des comités de rémunération diversifiés réduisent les écarts de salaire de 20 % en moyenne.

 6. Supprimer la question du salaire précédent

Pourquoi ? Car elle pérennise les inégalités en ancrant le niveau de rémunération sur des bases parfois discriminatoires. Et de toute façon, cela sera bientôt interdit avec la Directive européenne.

Comment ? En se basant sur une fourchette salariale définie pour le poste et non sur le passé du candidat.

Aux États-Unis, les États qui ont interdit la question du salaire précédent ont constaté une augmentation moyenne de 8 % du salaire des femmes et des minorités dans les nouvelles embauches.

Et si les logiciels de data RH permettaient de contrevenir à ces biais ?

Pour Marie-Sophie Zambeaux, “les logiciels de data RH sont un outil puissant pour détecter et corriger les biais salariaux. Mais ils doivent être accompagnés de mesures humaines : formation des managers, audits réguliers, décisions éthiques. Une IA mal paramétrée peut aggraver le problème au lieu de le résoudre”.

L’idéal ? Comme toujours, il se trouve dans la juste mesure. Un mix entre technologie et contrôle humain : des algorithmes qui identifient les écarts, et des managers formés qui prennent des décisions éclairées.

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