Salaires dans le digital : la fin de la démesure ?

3/1/2024
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Salaires dans le digital : la fin de la démesure ? 

Tous les recruteurs tech sont unanimes : la démesure salariale à laquelle nous assistions depuis quelques années est en train de prendre fin ! 

Pour autant, certaines difficultés demeurent, voire s’intensifient : pénurie des talents, rétention des collaborateurs difficile, rôle du manager de plus en plus compliqué… 

À l’occasion d’un webinar, Virgile Raingeard (fondateur et CEO de Figures) et Hymane Ben Aoun (présidente d’Aravati) ont échangé sur les principaux challenges RH pour 2023. Recap à lire ci-dessous !

Depuis 2020, les salaires de la tech ont connu une hausse sans précédent. Pour attirer les meilleurs talents, les entreprises n’hésitaient à proposer des rémunérations toujours plus élevées.

Hymane Ben Aoun : “Conscients de la pénurie et du dynamisme du marché, les candidats étaient en mesure d’imposer leurs exigences : un salaire élevé, du sens, une bonne équipe, une vision à long terme… Ils pouvaient aussi se permettre de changer d’entreprise très facilement si la mission ne leur convenait plus. Les recruteurs leur ont donc proposé des salaires de plus en plus élevés pour suivre le mouvement, jusqu’à atteindre des sommets.” 

Virgile Raingeard : “Les start-up et scale-up ont beaucoup contribué à cette démesure car, pour disrupter un marché, leur priorité n’était pas la rentabilité mais bien le recrutement des meilleurs profils disponibles. Si un candidat demandait un salaire à 80k, alors qu’elles planchaient plutôt sur 70k, elles lui accordaient le salaire le plus élevé. Pour tenir la cadence, elles comptaient jusqu’ici sur des levées de fonds régulières.”

Or, depuis l’été 2022, on assiste à un véritable virage. Les entreprises ont considérablement réduit leurs recrutements. De leur côté, les candidats sont plus prudents et ont baissé leur niveau d’exigence.

Virgile Raingeard : “Les fonds d’investissement ont réduit la voilure, ce qui a envoyé un message fort. Ces derniers mois, on a vu des entreprises pourtant bien installées licencier une partie de leur masse salariale.

Les levées de fonds ralentissent drastiquement. Dans leur grande majorité, les start-up et scale-up vont devoir attendre 4 - 5 ans avant de pouvoir lever à nouveau des fonds. Par conséquent, elles recrutent moins.”

Hymane Ben Aoun : “En tant que spécialistes du recrutement, nous voyons vraiment ce shift. Avant l’été dernier, les entreprises avaient l’habitude de faire des propositions supérieures aux souhaits du candidat pour sécuriser les recrutements. Ce n’est plus le cas à présent.

Les talents de la tech se posent également plus de questions avant de changer d’employeur. Ils sont beaucoup moins mobiles et ils ne cherchent plus à systématiquement “voir ailleurs”.”

Virgile Raingeard : “On voit aussi le début d’un ralentissement des rémunérations proposées aux “cadres exécutifs”. Leur salaire avait explosé ces dernières années, ils étaient en position de force.

Le mouvement généralisé de baisse des salaires est cependant progressif. Il dépend des nouveaux recrutements et ne sera donc pas visible du jour au lendemain.”

La fin de la démesure est donc en marche, mais elle ne marque pas la fin de la pénurie dans le secteur de la tech. En effet, le nombre d’offres d’emploi reste encore largement supérieur au nombre de candidats disponibles sur le marché. 

Hymane Ben Aoun : “Même si on commence à voir un certain retour à la normale, il faut rester très proactif. Parmi les profils tech les plus recherchés en 2023, on trouve :

  • Les top managers digitaux : On remarque depuis 2021 un fort besoin de vision stratégique dans les entreprises tech. Elles cherchent des managers de haut niveau qui pourront siéger à leur Comex et qui leur apporteront plus de hauteur. 
  • Les métiers de la data : Ils restent très convoités, même s’il y a des disparités. Les entreprises s’appuient de plus en plus sur des services externes pour des tâches jusqu’ici réalisées par des data scientists. Les data analysts et data engineers restent, quant à eux, très recherchés.
  • Les métiers du produit : Ces postes se spécialisent et se complexifient d’année en année. On ne trouve par exemple plus de Product Owner généraliste. La demande est aussi très importante pour les métiers de l’UX et de l’UI design.
  • Les développeurs : On estime que 80% des entreprises ont du mal à recruter des développeurs, même si le no-code se popularise. 
  • Les métiers de la marketplace : Avec l’accélération de l’e-commerce, chaque marque a aujourd’hui besoin de sa marketplace. Ce besoin, relativement nouveau, est exponentiel.
  • Les managers de transition : Ce rôle a explosé ces dernières années car les équipes ne peuvent plus se passer de manager. Il faut rapidement les remplacer et les intégrer pour qu’ils puissent prendre de la hauteur très vite et être de bons interlocuteurs du Comex. En général, les managers de transition sont des consultants au profil senior qui n’ont plus envie d’un CDI.

Virgile Raingeard : “Nous ne sommes pas près d’assister à la fin de la pénurie, notamment dans les métiers du produit. J’ajouterai dans cette liste le métier de product marketing manager, qui n’existait pas du tout en France il y a encore quelques années. Les entreprises sont très demandeuses, même s’il est quasi impossible de trouver une personne avec plus de 5 ans d’expérience dans ce domaine.

Pour les développeurs, je pense que les entreprises ont une carte à jouer avec l’émergence des bootcamps. Ces formations accélérées amènent sur le marché beaucoup de profils juniors qui sont, par conséquent, moins coûteux. Au-delà de l’aspect financier, c’est une chance pour la diversité en entreprise. En effet, contrairement aux développeurs qui se sont formés de façon classique, on trouve parmi les développeurs formés en bootcamp des profils plus variés, dont beaucoup de femmes. Il faut cependant avoir les moyens de leur proposer du mentoring, afin de les accompagner une fois en poste.”

Pour rester compétitives, les entreprises tech s’adaptent et optent pour des stratégies de rétention : mobilité interne, hausse des rémunérations, prime Macron, avantages salariés...

Hymane Ben Aoun : “Certaines d’entreprises ont accéléré leurs efforts en termes de mobilité interne, ce qui a plutôt bien fonctionné ! Cela leur a permis de staffer des postes dont elles avaient besoin, sans recruter en externe. La mobilité interne permet d’upskiller leur effectif, tout en les fidélisant.”

Virgile Raingeard : “Plutôt que de chercher à recruter à tour de bras, on voit que les entreprises préfèrent globalement revaloriser les salaires de leurs collaborateurs. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le budget moyen alloué aux augmentations reste stable : il est de 5% en 2023, contre 6% en 2022. Cette revalorisation concerne aussi les entreprises qui ont licencié. Elles se séparent certes d’une partie de leur effectif mais elles augmentent quand même les salaires. L’enjeu principal est de rester dans la course et de ne surtout pas perdre leurs talents en poste.” 

“Concernant la prime Macron, je pense que c’est un dispositif intéressant pour soulager les salariés qui subissent l’inflation. Nous recommandons de fonctionner par pallier et de ne distribuer la prime qu’aux salaires les plus faibles. Les personnes qui ont des salaires au-dessus d’un certain seuil ne doivent pas être concernées, car on peut légitimement considérer que leur pouvoir d’achat n’est pas trop impacté par l’inflation. Nous insistons également sur l’importance de la communication à faire autour du versement de la prime. Pour éviter les incompréhensions, il faut rappeler sans cesse dans quelles conditions elle est distribuée.”

“Je pense que les grands groupes doivent communiquer davantage sur leurs avantages salariés. Ce sont des dispositifs que les start-up ne peuvent pas proposer. Je pense par exemple à la politique d’intéressement et à la prime de participation, qui sont des dispositifs bien plus avantageux que les BSPCE dont les start-up et scale-up raffolent. Ces avantages doivent être “déringardisés” !”

Les chantiers ne manquent donc pas pour les RH en 2023. Parmi les sujets qui les occuperont également : la place du freelancing en interne, la revalorisation du rôle du manager et la transparence des salaires.

Virgile Raingeard : “Le freelancing ne cesse de prendre de l’ampleur, ce qui apporte de nouvelles questions : comment les intégrer à son équipe ? Comment les onboarder ? Jusqu’ici, les DRH ne s’en préoccupaient pas, mais ils ne peuvent plus se le permettre. 

Même s’ils ne sont pas sur l’organigramme de l’entreprise, on doit leur donner accès à certains avantages et les considérer comme des membres de l’équipe à part entière.”

Hymane Ben Aoun : “Cette prise en considération plus importante de l’externe transforme le rôle du manager, qui s’est beaucoup complexifié ces dernières années. Le manager ne gère plus seulement son équipe mais un véritable écosystème, soit les internes et les externes. Il est donc indispensable de revaloriser les salaires des managers en 2023.”

Virgile Raingeard : “Je pense que la nouvelle directive européenne sur la transparence, qui va être appliquée dans les trois ans dans tous les pays de l’UE, va mettre beaucoup d’attention sur le métier des RH. Historiquement, les RH étaient les membres les plus mal payés du Comex. Depuis quelques années, on voit une vraie revalorisation de leur poste car leur impact n’a fait qu’augmenter. Et on ne peut que s’en réjouir !”

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