Attraction, fidélisation, sanction : Ce que risquent vraiment les entreprises qui ne prennent pas le virage de la transparence
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Adoptée courant 2023, la Directive Européenne sur la transparence des rémunérations doit être transposée en droit français d’ici le 7 juin 2026. Son objectif ? Lutter contre les discriminations salariales et promouvoir un environnement plus équitable et inclusif. Une Directive qui répond aux attentes des travailleurs mais n’est pas encore suffisamment anticipée par une partie des entreprises. Pourtant, ne pas prendre à bras le corps le sujet comporte des risques en termes de marque employeur et expérience collaborateur, de même que des sanctions pourront être prononcées en cas de non respect de la législation. On fait le point.
C’est un vrai bouleversement dans le monde de la rémunération. Avec cette nouvelle Directive, les entreprises vont devoir se plier à de nouvelles obligations :
- Une transparence sur les fourchettes de rémunération dans les offres, et l’interdiction de demander aux candidats des informations sur leurs rémunérations antérieures.
- Une transparence sur les critères de rémunération et de progression dans l’entreprise.
- L’établissement d’un rapport sur les écarts de rémunération entre les sexes. Si un écart de plus de 5% est constaté, des mesures correctives doivent être adoptées.
- L’établissement d’un droit à l’information des salariés sur les niveaux de rémunération moyens, ventilés par sexe et catégories de postes équivalents.
Des sanctions bel et bien réelles
En outre, les entreprises qui ne respecteront pas ces nouvelles obligations s’exposeront à des sanctions, y compris des amendes, et devront indemniser les victimes de discrimination salariale. “Pour l’heure, la Directive n’a pas encore été transposée, mais le texte nous donne de précieuses indications”, affirme Leslie Nicolaï, Associée fondatrice du cabinet Factorhy avocat. Elle nous livre les principaux points de vigilance à garder en tête.
1. Réparation intégrale du préjudice
La directive affirme le principe de la réparation intégrale du préjudice subi en raison d’inégalités de traitement. Ce principe est déjà inscrit dans la jurisprudence européenne et trouve un ancrage explicite dans le texte.
- En France, ce principe est également reconnu. Cependant, la directive innove en mentionnant la perte de chance d’obtenir une promotion, de changer d’emploi, ou encore le préjudice moral. Cette précision, bien qu’elle ne révolutionne pas le droit français, renforce l’attention sur ces aspects spécifiques.
2. Sanctions financières et administratives
Les États membres sont tenus d’instaurer des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, y compris :
- Des amendes pour les entreprises ne respectant pas leurs obligations.
- Des mécanismes de contrôle par des organismes étatiques.
- Des mesures dissuasives comme la révocation d’avantages publics, l’exclusion des incitations financières, ou encore l’interdiction temporaire de répondre à des marchés publics.
En droit français, plusieurs dispositifs similaires existent déjà :
- Code du travail :some text
- Article R. 3222-1 et suivants, qui prévoit des peines d’amende en cas de non-respect des obligations en matière d’égalité de traitement.
- Obligation de dialoguer sur l’égalité professionnelle et pénalité financière de 1 % de la masse salariale pour les entreprises n’atteignant pas un index égalité professionnelle de 75, sans justification d’évolution.
- Code pénal :some text
- Article 225-1 et suivants, qui sanctionne les discriminations fondées sur le sexe (y compris par des peines d’emprisonnement et des amendes).
- Article 131-5-1 du code pénal, permettant au juge d’imposer une peine complémentaire comme un stage sur l’égalité hommes-femmes.
Ces mesures existent donc déjà en France, mais leur mobilisation pourrait devenir plus fréquente grâce à une attention accrue portée à ces problématiques.
3. Recours collectifs
La directive suggère la mise en œuvre de recours collectifs permettant à plusieurs victimes d’inégalités salariales de se regrouper pour agir en justice.
- En France, le recours collectif est encore peu utilisé dans ce domaine. Cependant, des évolutions législatives pourraient faciliter sa mise en œuvre pour mieux aligner le droit français sur la directive.
4. Prise en charge des frais de justice
L’article 22 de la directive prévoit que les frais de justice soient pris en charge pour les demandeurs victimes d’inégalités salariales.
- En France, une mesure similaire existe déjà avec l’article 700 du Code de procédure civile, qui permet au juge de condamner la partie perdante à rembourser les frais engagés par l’autre partie pour sa défense.
5. Sanctions pour violations répétées
L’article 23 de la Directive insiste sur des sanctions spécifiques pour les violations répétées. Ces sanctions doivent être proportionnées, effectives et avoir un effet dissuasif réel. Elles incluent notamment :
- Des amendes calculées sur une base définie par le droit international.
- Une intensification des mesures coercitives en cas de récidive.
En France, des dispositifs similaires existent, mais la Directive pourrait pousser à leur application plus systématique.
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Les 3 conseils de Leslie Nicolaï pour anticiper la Directive sur la transparence des rémunérations
1. Préparez-vous dès maintenant
N’attendez pas la transposition pour agir. Revoir les politiques de rémunération, les classifications d’emplois et les règles internes demandera un travail de fond conséquent. Anticipez pour éviter de gérer ces changements dans l’urgence.
2. Évaluez les impacts financiers et opérationnels
Analysez dès à présent les risques et coûts liés aux nouvelles obligations. Identifiez les faiblesses dans vos pratiques actuelles pour les corriger à temps et minimiser les impacts à court et moyen terme.
3. Formalisez des règles adaptées
Adoptez des critères objectifs pour les rémunérations et repensez certains processus RH. Intégrez la transparence dans vos offres d’emploi et formez vos équipes à ces nouvelles exigences. Agir tôt rendra la transition plus fluide.
Des risques en matière d’attraction des talents
Si la Directive européenne sur la transparence des rémunérations comporte de véritables sanctions, son non-respect comporte aussi des risques en matière d’attraction des candidats.
1. Le risque de se faire ghoster par les candidats
87% des candidats souhaitent voir la rémunération sur les offres d’emploi selon une étude d’Hellowork datant de 2022. Les chiffres changent d’un sondage à un autre mais, selon une étude récente de Michael Page, 40 % des candidats ne postulent pas à des offres sans indication salariale.
“Ne pas mentionner la rémunération et être transparent sur le sujet revient à se tirer une balle dans le pied. Or, étant donné les difficultés de recrutement et les pénuries pour certains métiers… c’est suicidaire !”, analyse Marie-Sophie Zambeaux, fondatrice de ReThink RH.
À l’inverse, indiquer la rémunération sur les offres d’emploi augmente le nombre de candidatures tout en renforçant la confiance des candidats potentiels.
2. Des process de recrutement moins efficients
Ne pas indiquer le salaire sur une offre représente une perte de temps pour tout le monde.
“Quand on indique une fourchette, il y a moins de négociation à faire (et moins de marge de manœuvre). Pour les candidats mal à l’aise avec la négociation, c’est une excellente nouvelle. En clarifiant dès le départ les conditions de rémunération, l’entreprise réduit les malentendus et améliore la qualité des candidatures”, poursuit notre interviewée.
Cultiver une réputation d'employeur transparent peut donner un coup de fouet à votre image de marque auprès des candidats, alors, autant prendre les devants !
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Des risques en matière de fidélisation des talents
Le manque de transparence déteint non seulement sur la qualité des candidatures, mais aussi sur la fidélisation des talents dans l’entreprise.
1. La création de zones d’ombres
En ne se montrant pas parfaitement transparentes, les entreprises risquent de ternir leur marque employeur.
“Sans communication, des soupçons d’inégalités peuvent surgir, même là où il n’y en a pas. De plus, il est difficile de savoir si l’on est évalué de façon juste”, prévient Marie-Sophie Zambeaux.
En outre, une étude menée par PayScale a montré que les entreprises faisant preuve de transparence étaient 3,5 fois plus susceptibles d'obtenir un engagement élevé de la part de leurs employés. Après avoir investi 6 millions de dollars pour corriger les inégalités salariales, Salesforce a non seulement amélioré la satisfaction des employés, mais la productivité a également bondi de 10 %.
2. Un risque accru de turnover
Les collaborateurs sont plus enclins à rester dans une entreprise s'ils ont l'impression d'être payés équitablement. Une enquête de Deloitte a montré que les organisations transparentes pouvaient augmenter la satisfaction des employés de 50 %, ce qui se traduit par une réduction du turnover pouvant atteindre 22 %.
“On sait aussi que la transparence améliore le climat social global. En se montrant transparente sur les informations salariales, l’entreprise développe la confiance de la part des salariés et des partenaires sociaux”, pointe la fondatrice de ReThink RH.
3. Un manque d’équité salariale
La transparence salariale oblige les entreprises à révéler et à corriger les inégalités internes, ce qui peut avoir un impact considérable sur l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes. “Et ce n'est pas qu'une théorie : les recherches ont montré que les entreprises les plus transparentes ont des écarts de rémunération plus faibles entre les hommes et les femmes”, pointe Marie-Sophie Zambeaux. À l’heure où les entreprises sont en quête de davantage de diversité et d’inclusion dans les équipes, voilà une sortie de route qu’elles ne peuvent pas se permettre si elles veulent garder les meilleurs talents féminins. Et ce que l’on dit ici vaut aussi pour la diversité au sens large (handicap, intergénérationnel etc). Selon une étude de McKinsey, les entreprises avec une forte culture d'égalité salariale affichent des bénéfices de 21 % supérieurs à leurs concurrents.
4. Une incapacité à donner des perspectives de progression
Qui dit transparence salariale, dit aussi visibilité sur les career path en interne. “Qu’il s’agisse d’une promotion verticale ou d’une mobilité horizontale, il est nécessaire de faire preuve de transparence au niveau des grilles sur les différents niveaux, les compétences requises et les salaires correspondant à ces niveaux”, relève Mathilde Blin, Head of People Operations chez Open Classrooms. En somme, tout ce qui apporte de l’objectivité va rassurer les collaborateurs et renforcer leur motivation pour atteindre le prochain seuil. Les employés doivent savoir très clairement quelles compétences développer pour pouvoir parvenir au niveau supérieur.
“En l'occurrence, nous souhaitons que nos salariés soient plus engagés, pour plus de performance au sein de l’entreprise. En somme, plus une entreprise s’inscrit dans une culture de la performance, plus elle doit faire preuve de transparence”, conclut-elle.
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