Comment apprendre aux managers à communiquer sur la rémunération ?
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“Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement”. Cette célèbre citation de Nicolas Boileau résume à elle-seule nombre des défis rencontrés par les managers lorsqu’il s’agit de communiquer sur la rémunération.
Manque de transparence, communication maladroite, difficultés à objectiver les décisions… Lorsqu’il s’agit de parler d’argent, nombreux sont les managers à se prendre les pieds dans le tapis. “Beaucoup d’entre eux sont encore dans une culture de la carotte et du bâton. Il s'agit d’une forme de management par le contrôle ou la peur”, regrette Delphine Tordjman, coach spécialiste en leadership et autrice de “L’art du feedback” aux éditions Gereso.
“C’est avant tout une question de culture d’entreprise”
Pour autant, pas question d’accabler cette population de manager. Pour notre interlocutrice, le défaut de communication sur les sujets liés à la rémunération se joue bien plus en amont, au niveau de la culture d’entreprise, et donc des RH et de la Direction. Car les véritables questions à se poser sont : La culture de l’entreprise est-elle centrée sur les humains ? Investit-elle sur les personnes ? Sait-elle recruter et reconnaître la valeur des talents sur le marché ? Investir dans leur potentiel ? Les former, les coacher ?
“Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’argent est une énergie. Autrement dit, un collaborateur va se mettre en mouvement, puis espérer légitimement récolter les fruits de son travail”, poursuit l’experte.
Or, les collaborateurs passent beaucoup de temps à essayer de prouver leur valeur, ce qui crée une forme d’insécurité. Souvent, il existe un déséquilibre entre ce qu’ils estiment donner à l’entreprise, et ce qu’ils reçoivent. “C’est là que la communication des managers joue un rôle primordial. Car le sentiment d’injustice ouvre la porte au désengagement”, prévient Delphine Tordjman.
Alors, comment équiper les managers en matière de communication ?
1. Intégrer les managers aux discussions en amont
Pour aider les managers à mieux saisir le sujet de la rémunération, encore faut-il qu’eux-mêmes soient au clair sur la politique de l’entreprise en la matière. “Le manager ne peut pas être seulement un passe-plat. Pour cela, il doit être au courant de la stratégie globale de l'entreprise en matière de rémunération, comprendre comment sont constitués les packages”, recommande Michael Obadia, Fondateur du cabinet de recrutement Upward. Ce n’est que dans ces conditions qu’il pourra faire preuve de transparence.
Le conseil en + : Un à deux mois avant les entretiens de fin d’année, il peut être opportun de donner des guidelines au manager en allant plus loin que lui livrer un simple budget d’augmentation. Il faut que le manager comprenne les tenants et aboutissants, qui dépassent les cas individuels : quelles sont les priorités de l’entreprise ? Pourquoi certaines équipes, certains postes, sont plus critiques par rapport à la rareté des compétences ? Quelle est la criticité d’un poste dans une organisation ?
“L’idéal étant que le manager puisse participer aux discussions pour défendre les augmentations de son équipe. Plus il sera impliqué, plus il pourra expliciter les choix opérés en la matière”, recommande-t-il.
2. Parler d’argent toute l’année
Parce que la rémunération est un sujet à la fois stratégique et émotionnel, la problématique est éminemment complexe. Or, beaucoup d’entreprises ont tendance à cantonner ces discussions à la seule période des entretiens de fin d’année.
“Ne parler d’argent qu’à ce moment- là est à mes yeux une grosse erreur car cela crée une forme de tabou et engendre souvent de la déception. La communication agit alors comme un couperet”, relève Michael Obadia.
Le conseil en + : Il est important de pouvoir donner des perspectives sur l’évolution de la carrière du collaborateur tout au long de l’année. Cela implique des retours continus sur le travail, qui peuvent passer par exemple par des revues de performance trimestrielles qui permettent de préparer le terrain avant l’entretien annuel.
3. Définir clairement les attendus en matière de performance
Parce que le sujet de la rémunération est naturellement intriqué à celui de la performance, il est essentiel d’apporter un maximum de clarté sur l'évaluation de celle-ci. “Cela passe par les compétences techniques mais aussi les soft skills (leadership, sens de l’adaptation, capacité à apprendre…), d’autant que les collaborateurs s’engagent émotionnellement”, pointe Delphine Tordjman. L’évaluation de la performance s’apprécie également d’un point de vue collectif, et pas seulement individuel. Sans compter que la rémunération s’ajuste avec le marché. “Tout cela, les collaborateurs peuvent le comprendre, à condition qu’on leur explique”, ajoute-t-elle.
Le conseil + : “Au final, l’argent n’est qu’une conséquence de tous ces sujets. Quand un collaborateur s’engage, il attend une rétribution”, pointe la coach. Or, cette rétribution n’est pas que financière. Parfois, il peut être impossible d’augmenter un collaborateur, même s’il est méritant. Il faut alors apporter de la reconnaissance autrement : octroyer une formation, autoriser le collaborateur à tester de nouvelles choses, et surtout pointer le travail bien fait. “Tout cela, il faut le nommer, c’est très important”, poursuit Delphine Tordjman.
4. S’adapter en toutes circonstances
La rémunération est un sujet très personnel, et tout le monde ne nourrit pas les mêmes attentes. “C’est une erreur que peuvent faire les managers : par exemple, certains vont axer le discours sur le variable car c’est ce qui est important pour eux. Or, il est essentiel d’individualiser son discours selon la personnalité et les besoins de chacun”, pointe Michael Obadia. En effet, nous avons tous nos propres biais ou frustrations personnelles en matière de rémunération. Le comprendre, c’est donc pouvoir communiquer plus finement.
Le conseil en + : Pour bien ajuster sa communication, Virgile Raingeard, CEO de Figures, recommande l’emploi des jeux de rôle entre manager et HR BP. “Il faut se préparer à communiquer sur des sujets difficiles, comme le zéro augmentation, ou encore être prêt à répondre aux objections. Mais aussi savoir célébrer les bons moments, comme l’annonce d’une promotion qu’il convient de valoriser. Dans tous les cas, le jeu de rôle peut être très utile pour préparer le manager”, conseille-t-il.
5. Laisser la porte ouverte à la discussion
Les sujets de rémunération méritent qu’on leur accorde du temps. C’est pourquoi, même après les entretiens individuels, il est nécessaire de poursuivre le dialogue.
“C’est important que les collaborateurs puissent s’exprimer et revenir vers leur manager a posteriori. Quand on n’est pas augmenté, cela peut vraiment donner l’impression que l’on n’est pas considéré par sa boîte. Cette sensation est d’autant plus accentuée que l’on coupe la discussion”, regrette Michael Obadia.
Le conseil en + : Il est nécessaire de reparler de ces sujets dans les mois qui suivent, et d’établir un plan d’action clair pour le collaborateur afin de lui donner des perspectives d’évolution. “De manière globale, je trouve cela important de permettre à chacun de s’exprimer en demandant au collaborateur ce qui lui semblerait juste, ce qu’il aimerait. C’est aussi une manière de travailler l’empowerment”, affirme Delphine Tordjman.
En bonus : quelques erreurs à ne pas commettre
- Mettre les collaborateurs en concurrence les uns avec les autres. Cela ne crée de l’engagement qu’à court terme et provoque des tensions entre les équipes qui sont ensuite longues à résorber.
- Se désolidariser de l’entreprise, en n’assumant pas les choix en matière de rémunération. Là encore, c’est la démotivation garantie !
- Parler de soi, notamment en disant que l’on n’a pas été augmenté. Cela peut être particulièrement mal perçu par le collaborateur.
- Mettre trop d’affect dans les discussions. Ce dont le collaborateur a besoin, c’est de transparence et de clarté sur l’évaluation de sa performance.
- Tourner autour du pot. Même si ces sujets sont difficiles, il faut faire preuve de courage. Cela sera d’autant plus simple pour le manager qu’il comprend et maîtrise les décisions prises en amont.
En résumé
La communication doit être régulière, transparente, la performance doit être évaluée avec des critères objectifs, et l’investissement du collaborateur reconnu d’une manière ou d’une autre.