Comment évaluer et rémunérer justement les compétences ?
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L'évaluation et la rémunération des compétences sont devenues des enjeux centraux dans les entreprises. Avec la transformation des métiers et l'importance croissante des soft skills, comment s'assurer d'une évaluation objective et d'une juste reconnaissance des talents ?
Avec l’arrivée de la Directive européenne sur la transparence des rémunérations, le besoin d’objectiver les choix liés à la rémunération se fait de plus en plus pressant. Et parmi les critères retenus pour évaluer la performance d’un collaborateur, les compétences - qu’elles soient hard ou soft -occupent une bonne place.
Pour autant, l’exercice est loin d’être aisé ! “Qu’il s’agisse des hard ou soft skills, il est toujours difficile de relier une compétence en particulier à une performance. Presqu’aucun métier n’est monotâche ou séquentiel. En fait, chaque collaborateur a son propre bouquet de compétences, qu’il combine à sa façon pour atteindre ses objectifs”, pointe Lisa Ferrer, ex CEO de Kirae, spécialiste de l’évaluation des compétences.
Mais qui dit difficile… ne dit pas impossible ! De plus, aucune entreprise ne peut aujourd’hui faire l’impasse sur l’évaluation des compétences.
“Les compétences, c’est le pétrole d’une entreprise, ce qui dessine son futur. Dans un monde en pleine transformation, il est essentiel de l’intégrer et d’encourager les collaborateurs à être dans une logique d’apprentissage continu”, poursuit Lisa Ferrer.
Maintenant qu’on a posé le décor, tâchons de donner des pistes pour avancer sur le sujet.
Hard skills et soft skills : même combat ?
Pendant longtemps, l’évaluation des soft skills est totalement passée sous le radar des entreprises, et encore aujourd’hui, celle-ci demeure en zone grise. “On a tendance à surestimer la place que jouent les hard skills dans les performances, mais aujourd’hui, elles évoluent à vitesse grand V”, poursuit notre interlocutrice. En matière de hard skills, cela implique donc pour les entreprises de faire évoluer sans cesse leur référentiel de compétences. À ce titre, la cartographie des compétences peut être un bon outil pour anticiper les besoins à venir dans les organisations, et planifier les besoins de formation. Il est indispensable d'intégrer une logique d'apprentissage continu et de requalification des compétences tout au long du parcours professionnel.
Même constat pour Sophie Delorme, Directrice de l’entité Talent Consulting France de Morgan Philips. Avec l’intelligence artificielle, la maîtrise des hard skills, dont le cycle de vie est estimé entre 2 et 5 ans, est totalement bousculée.
“Dans ce contexte, je pense que les soft skills ne peuvent plus être considérées comme un simple nice to have. Le savoir-être va prendre une place considérable dans tous les métiers, et bien entendu en premier lieu dans le management où beaucoup sont encore promus sur leur technicité et non pas sur les qualités requises pour gérer de l’humain”, regrette-t-elle.
En somme, on pourra toujours former quelqu'un à un contenu de poste, mais la capacité d'adaptation, la vision, le sens du lien... tout cela est plus complexe.
Les biais dans l'évaluation des soft skills
Cependant, l’un des enjeux majeurs reste la subjectivité de l'évaluation des soft skills. "Les managers ont tendance à projeter leurs propres valeurs ou affinités dans l'évaluation. Par exemple, ils estimeront plus facilement qu’une personne a telle ou telle qualité parce qu’elle fait le même sport qu’eux", reconnaît Lisa Ferrer. Cela peut créer des inégalités, notamment pour les collaborateurs qui ne partagent pas les mêmes codes culturels que leurs supérieurs, surtout au démarrage d’une carrière. “Il est vrai que le savoir-être provient de l’éducation, de l’expérience, de la trajectoire d’une personne. Ces soft skills sont longues à acquérir”, soutient Sophie Delorme.
Une autre difficulté provient aussi de la faible exposition des collaborateurs non managers à ces sujets. Et c’est un vrai problème :
“lorsqu’un collaborateur veut devenir manager, on lui demande tout à coup des compétences de savoir-être dont il n’a jamais entendu parler, d’où l’importance selon moi d’intégrer ces critères dès le démarrage”, affirme Lisa Ferrer.
Pour limiter tous ces biais, il est donc essentiel d'utiliser des grilles d'observation objectives et d'assurer un recoupement des sources d'évaluation. "Une personne doit être évaluée au moins deux fois, soit à travers un test, soit en mise en situation ou en entretien. Plus elle est observée, plus l'évaluation est fiable", précise Sophie Delorme. Pour autant, la réussite d’un test ne peut pas présager une généralisation de ce comportement : l’environnement, l’exposition au stress etc… sont autant de facteurs qui jouent un rôle de premier plan dans la mise en œuvre des soft skills.
A savoir : Évaluation, assessment et 360 : trois approches distinctes
L'évaluation est une approche plus légère, souvent basée sur des tests de personnalité ou psychométriques, suivis d'un débriefing avec un manager ou un recruteur. Elle permet d'obtenir un premier retour sur les aptitudes d'un individu et d'identifier les ajustements nécessaires.
L'assessment, en revanche, est une démarche plus approfondie et structurée. Il repose sur l'observation des compétences attendues dans différents contextes. L'idée, c'est d'observer cette compétence au moins deux fois, que ce soit à travers un test, une simulation de situation ou un entretien. Cela peut durer une demi-journée ou une journée entière, et se base sur des grilles de compétences co-construites avec l'entreprise.
Le test 360 est un outil de développement permettant d’obtenir des feedbacks croisés de différentes parties prenantes (collègues, managers, subordonnés) sur les compétences et comportements d’un collaborateur. Contrairement à l’assessment, il ne sert pas à évaluer en vue d’une sélection mais à identifier des axes de progression. Il offre une vision globale et objective des soft skills en confrontant différentes perceptions.
Dans tous les cas, il est possible et même recommandé de croiser ces différentes techniques.
Comment rendre l'évaluation des compétences plus équitable ?
L'intégration des compétences dans l'évaluation et la rémunération est nécessaire, mais doit être menée avec précaution.
"Si vous mettez en place une évaluation sans offrir de leviers de progression, c'est violent pour le collaborateur", prévient Lisa Ferrer. La formation doit donc être intégrée à cette politique d'évaluation des compétences.
Les entreprises doivent aussi veiller à définir des compétences observables et mesurables, plutôt que de se reposer sur des critères subjectifs. "Ce qui est attendu en termes de comportement doit être clairement défini. Par exemple, comment réagit-on face à une demande inhabituelle d'un client ?", poursuit l’experte. En effet, se contenter d’exiger d’un collaborateur qu’il ait “le sens du service” est bien trop vague. Car tout le monde n’a pas nécessairement la même définition.
De plus, “Il peut être extrêmement intéressant pour une entreprise de transformer ses valeurs en compétences, afin que tout cela ne soit pas bullshit”, soutient Sophie Delorme. Mais attention, n’oublions pas que chaque entreprise doit adapter son approche à sa propre culture. Ce qui marche chez Alan ou Qonto ne marchera pas forcément ailleurs. La politique de rémunération traduit avant tout l'ADN d'une entreprise.
Compétences et rémunération : un lien direct ou indirect ?
Vous l’aurez compris : la question de la rémunération en fonction des compétences est complexe. "À ce jour, ce n'est pas toujours un effet rebond direct", précise Sophie Delorme. Et d’ajouter "Si vous basculez dans une pépinière de talents, votre rémunération s'améliorera à terme, mais ce n'est pas aussi tranché que de dire 'l'agilité vaut tant'." Dans ce cas, la reconnaissance des compétences passe donc plutôt par des dispositifs à moyen et long terme, tels que les promotions internes, les évolutions de carrière et les plans de formation.
En revanche, certaines entreprises tentent de structurer un système de valorisation immédiate, en mettant en place des grilles de compétences liées à des niveaux de rémunération. Pour ce faire, elles élaborent des fiches de poste détaillées, précisant les compétences techniques et comportementales attendues, avec des niveaux échelonnés. Cela permet une meilleure visibilité sur les attentes et les parcours d'évolution. Une approche plébiscitée par les collaborateurs qui disposent de davantage de clarté sur la suite de leur parcours.