Compversation #10 - Qui a peur des salariés sous payés ?

25/7/2024
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Sommaire

Un casse-tête pour l’ère de la transparence 

Une petite « étude de cas » comp & ben, ça vous dit ? Voilà une mise en situation que j’ai proposée il y a quelques semaines à mes contacts Linkedin. 
Et la question a passionné un bon nombre de professionnels de la rémunération. 

C’est un casse-tête auquel j’ai moi-même été confronté en tant que DRH. Imaginez un peu : une de vos salariées est sous-payée de 25% (appelons-la Alice). 

(Ça arrive lorsque l’équipe de recrutement fait « trop bien son travail », c’est-à-dire réussi à recruter un candidat en deçà du budget prévu pour son poste… Quand les attentes du candidat sont trop basses, l’usage n’est pas de les corriger à la hausse). 

Bref, ça nous laisse, nous, comp & ben, avec ce dilemme sur les bras lorsque vient le moment des révisions de salaires. 

Nous avons deux alternatives : 

  1. Le choix le plus juste : combler immédiatement l’écart injustifié en accordant une augmentation de 25% à Alice. Les années suivantes, revenir à un rythme d’augmentations normal (de l’ordre de 3 ou 4%). 
  1. Le choix le plus efficace : réduire graduellement l’écart entre Alice et ses collègues en lui accordant 3 augmentations successives de 10%, une par an, au cours des 3 années à venir. 

Le choix le plus juste ou le choix le plus efficace ? 

Spoiler : la plupart des professionnels qui ont répondu à mon casse-tête ont voté pour le choix le plus juste. 

C’est aussi la décision que j’avais prise quand j'étais confronté à cette situation. (J’avais la chance de travailler dans une super entreprise qui m’avait permis d’agir vite pour rectifier le tir et corriger l’injustice dont avait été victime Alice). Mais dans la vraie vie, on sait que ça ne se passe pas toujours comme ça. 

Et ce, pour deux raisons :

La première, la plus évidente, est budgétaire. Nous n’avons pas les coudées franches au moment des révisions de salaire. Il faut que l’augmentation nécessaire pour ajuster le salaire d’Alice soit possible au vu des enveloppes accordées à son équipe.

La deuxième, plus subtile, nous vient des sciences cognitives. Il s’agit de la perception d’Alice. Le cerveau humain ne traite pas les bonnes nouvelles de manière 100% rationnelle. On n'est pas 2 fois plus heureux d'une augmentation de 20% que d'une augmentation de 10%. 

Paradoxalement, elle percevrait une augmentation de 25% comme « une nouvelle  incroyable»… et trois augmentations de 10% comme « trois super nouvelles ». 

Et mieux vaut trois super nouvelles qu’une seule nouvelle incroyable suivie de deux nouvelles « bof ». 

La solution 2 augmenterait sa satisfaction sur ces trois années-là. L’effet de l’augmentation de 25% n’influencera pas la satisfaction d’Alice pendant bien longtemps. Elle risque plutôt d’être déçue de voir ses augmentations dégringoler à 3 ou 4% les années suivantes. 

On appelle ce phénomène l’adaptation hédonique : un principe selon lequel on reviendrait rapidement à un niveau de bonheur « stable » après avoir reçu une bonne nouvelle. L’impact émotionnel des grands changements, positifs ou négatifs, diminue au fil du temps. Ce principe, très étudié en psychologie positive, explique pourquoi une augmentation conséquente, par exemple, n’a pas d’effet durable sur notre bonheur de manière générale.


En bref, la solution 2 est plus efficace d’un point de vue budgétaire et d’engagement des employés… Pourvu qu’Alice ne comprenne pas qu’elle a été sous-payée tout ce temps ! 

La transparence rebat les cartes !  

Il y a quelques années, cette question ne se serait peut-être pas posée du tout. 

On aurait tiré profit du double avantage qu’offre le choix 2, en pariant qu’Alice ne se rendrait pas compte qu’elle est sous-payée. Un pari qui n’était pas si risqué que ça : après tout, la question des salaires a longtemps été taboue entre collègues. C’est une augmentation soudaine de 25% qui pourrait lui mettre la puce à l’oreille, au contraire. 

Aujourd’hui, les choses ont bien changé. 

Tout d’abord, les attentes des salariés ne sont plus les mêmes. Les nouvelles générations (mais pas que !) s’attendent à ce que leurs employeurs fassent preuve de transparence et d’éthique dans leurs décisions, y compris salariales. 

La loyauté des employés est fondée sur la réciprocité. Pour accompagner ces changements sociétaux, les langues se délient autour de la question des salaires. 

Et la dissatisfaction d’Alice risque de s’étendre à ses collègues. Même s’ils ne sont pas personnellement touchés, ils auront plus de mal à faire confiance à leurs employeurs. 

C’est sans compter les nouvelles dispositions légales induites par la directive européenne pour la transparence salariale. Bientôt, ce genre de situation risquera de coûter très cher aux employeurs peu scrupuleux : chaque différence de traitement entre collègues devra être justifiée par des critères objectifs. 

À l’ère de la transparence, la solution 1 devient à la fois la plus juste et probablement la plus efficace. Le dilemme n’en est plus un ! 

Le panier percé de l’équité : le recrutement

En vérité, la bonne réponse n’est ni la 1, ni la 2. 

Lorsqu’on en arrive là, généralement, c’est déjà trop tard. Même si l’entreprise fait amende honorable auprès d’Alice et lui propose de « rattraper » l’écart de salaire, elle s’expose quand même à une baisse d’engagement et de loyauté de la part de l’employée qui se sentirait « flouée ». 

Surtout que malgré toute la bonne volonté des RH, il peut être impossible d’accorder une telle augmentation, les budgets étant souvent limités. 

La vraie solution : régler le problème à la source, en adoptant des pratiques de recrutement plus justes. C’est souvent au moment de l’embauche que les inégalités salariales se créent : elles sont parfois très lourdes, les offres pouvant varier de dizaines de milliers d’euros selon la capacité de négociation des candidats. 

La dette d’équité ne peut que se creuser : on est souvent incapable de corriger le tir avec des augmentations ponctuelles et faibles ?

Comment rattraper des écarts de 10 à 20% avec des budgets de 2 à 3% ? On s’engage alors dans une « fuite en avant », néfaste pour tout le monde. 

Jusqu’ici, dans the CompVersation, j’ai beaucoup parlé de l’évaluation de la performance, des augmentations et des revues de salaire. J’aimerais consacrer les prochains numéros au panier percé de l’équité : le recrutement. 


Hâte d’en discuter avec vous ! 

Pour continuer la conversation

Une sélection de contenus pour nourrir la réflexion. N’hésitez pas à m’envoyer les articles qui vous ont semblé intéressants ! 

Les français osent de plus en plus parler de leurs salaires, on vous dit pourquoi  - Elise Penalva-Icher, professeure des universités en sociologie, Université Paris Dauphine-PSL - Les Echos Start

La sociologue Elise Penalva-Icher rédige un article passionnant sur la levée progressive du tabou des salaires en France. Elle interviewe notamment le PDG du groupe Clinitex qui a dévoilé toutes les rémunérations de ces salariés. Elle analyse les causes légales et sociétales qui mènent à un tel bouleversement. 

Des pas de géants sur la transparence salariale - Dominique Seux - France Inter 

Une chronique radio de France Inter qui, se basant sur un chiffre partagé par HelloWork, souligne l’avancée de la transparence dans notre société.  En précisant que les très hauts salaires sont déjà soumis à la transparence salariale. 

March 12 marks Equal Pay Day this year - Jeanne Sahadi - CNN (En anglais)

Aux Etats-Unis, on a célébré le Equal Pay Day le 12 mars : c’est le nombre de jours que les femmes ont dû travailler en plus, en 2024, pour toucher les revenus des hommes en 2023. L’occasion pour la CNN de faire l’état des lieux sur les inégalités salariales aux Etats-Unis et les différentes mesures législatives mises en œuvre pour les contrer.

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