Les RH seraient-ils devenus les super-managers de l'entreprise ?

18/6/2024
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A cheval entre le care et le business, la direction et les employés, les RH multiplient les casquettes. Et comme si cela ne suffisait pas, il leur arrive aussi de combler certains manquements dans la ligne managériale. Mais est-ce là leur rôle ? Quelle posture adopter entre le soutien des collaborateurs… et de leurs managers ? On fait le point.

Dans sa (déjà) très longue liste de tâches, le RH serait-il de surcroît le super-manager de l’entreprise ? Avouez-le, c’est un attribut qu’on lui accorderait volontiers non ? Sur le terrain, la question que nous soulevons ici ne semble pas être une vue de l’esprit. Coach de cadres stratégiques et dirigeants depuis 15 ans, Isabelle d’Humières nous confie rencontrer cette situation régulièrement dans ses accompagnements, surtout depuis le Covid et l’éloignement des collaborateurs et managers avec le travail à distance. 

Le cas typique ? Un n-1 qui “bypasse” son n+1 pour aller directement discuter avec le RH. “Par exemple, il peut s’agir d’un sujet comme le non respect du droit à la déconnexion pour lequel le n-1 ne se sent pas écouté par son manager”, illustre la coach. Bien sûr, le manque de communication peut avoir des origines très variées : le manager peut avoir peu d'appétence pour le management, être tout simplement mauvais, ou carrément débordé à cause d’un non-remplacement dans son équipe ou encore d’un manque de budget. “Beaucoup se sentent tellement pressurisés qu’ils ne parviennent plus à se mettre à l’écoute de leur équipe”, poursuit Isabelle d’Humières.

Senior people success partner chez Openclassrooms, Jeremy Tene nous confirme effectivement que les RH sont régulièrement amenés à endosser la cape de super manager. “Par le passé, j’ai par exemple eu à gérer un collaborateur le temps qu’il change de manager, faute de bande passante et de budget. En tant que Head of People, j’ai aussi été régulièrement sollicité par les primo managers qui manquaient d’expérience”, illustre-t-il. 

L’empathie : point trop n’en faut

Pour Isabelle d’Humières, cet investissement direct des RH auprès des collaborateurs, c’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Une bonne, “parce que cela prouve que le métier de RH s’humanise, alors que les collaborateurs en ont longtemps eu une vision erronée”, pointe-t-elle. Depuis la pandémie, elle a observé que de nombreux RH se sont investis massivement dans l’attention aux  collaborateurs. Là où le bât blesse, c’est qu’à force d'écouter (longuement) les collaborateurs en difficulté, une proportion importante de RH fatiguent et certains frôlent le burnout.

Empêtrés dans leur posture de sauveur, les RH ne sont malheureusement pas toujours outillés correctement pour recevoir ce flot de collaborateurs en souffrance. En 2022, 64 % des professionnels des ressources humaines se trouvaient en situation de détresse psychologique, essorés par la gestion de la pandémie. “La profession de RH s’est beaucoup féminisée, et j’entends beaucoup de RH me dire devoir passer de leur coeur de mamans à leur coeur de professionnelles pour mieux accompagner les salariés en détresse”, affirme-t-elle. 

Alors, est-ce vraiment la place des RH que de se supplanter aux managers ?

VP People au sein de la startup Semble, Yssine Matola nous offre un regard extrêmement tranché sur la problématique. Elle nous invite à nous poser cette question en préambule : qu’attendons-nous en tant qu’organisation à l’égard des managers ? “Pour moi, les managers doivent permettre à leur équipe d’avoir un impact maximal à titre individuel et collectif”, affirme-t-elle. De ce fait, toute discussion importante doit avoir lieu directement entre le n-1 et n+1. Et d’ajouter : “bien sûr, on ne va pas claquer la porte au nez du collaborateur, mais sauf cas particulier tel qu’une situation de harcèlement, il faut le recevoir rapidement, puis essayer de réintégrer très vite le manager dans la discussion”.

Pour elle, les raisons de cette prise de position sont très simples : se substituer aux managers n’est pas scalable sur la durée puisque la situation peut être amenée à se reproduire. “Il ne faut pas se rendre indispensable pour les mauvaises raisons”, affirme-t-elle. De plus, “tout manager est scruté par son équipe. Il en va de sa légitimité, c’est pourquoi j’encourage toujours les managers à ne pas se défausser de leurs responsabilités”, poursuit-elle. 

Un point de vue partagé par Jeremy Tene qui estime effectivement que le rôle du RH n’est pas de se muer en super-manager. “Déjà, je ne suis pas un pro du management. Beaucoup de gens pensent à tort que c’est notre vocation. J’ai eu des cours lors de ma formation, mais il y a des managers bien meilleurs que moi dans mon entreprise”, avance-t-il. De plus, en tant que RH, il nous explique être cantonné à la figure de coach, n’ayant pas l’expertise nécessaire pour jauger de la qualité du travail opérationnel d’un collaborateur (en dehors de sa team RH). Pour lui aussi, il est nécessaire d’encourager les managers à assumer pleinement leur rôle, “car 80% du job d’un manager est lié à la résolution de problématiques de performance, litiges et conflits. C’est frustrant, mais on ne peut pas déléguer 80% de son temps”.  

Quelles pistes pour accompagner au mieux collaborateurs et managers ?

On peut aborder la question de plusieurs façons. 

  1. Pour Isabelle d’Humières, il n’est pas inintéressant que les RH se penchent sur le management, au contraire. Cependant, elle imagine une spécialisation pour certains professionnels avec l’objectif de rétablir au plus vite la communication entre n-1 et n+1. “Il faut à tout prix éviter les non-dits et recréer rapidement du dialogue”, avance-t-elle.

  1. Isabelle d’Humières recommande aussi le co-développement entre pairs managers, à raison d’une heure par semaine par exemple. Si l’entreprise est de grande taille, cela peut se faire en interne, mais il existe aussi des groupes inter-entreprises.

  1. Pour éviter les débordements, il est également important que tout le monde soit au clair sur le rôle des RH en matière de management. “Si tout le monde n’est pas aligné, il convient d’éduquer la direction, les managers et les collaborateurs sur cette question”, recommande Yssine Matola.

  1. En cas de défaillance d’un manager, Yssine nous rappelle aussi que le problème se gère alors avec le manager du manager, afin de l’accompagner comme il se doit dans la réussite de ses fonctions.

  1. Bien sûr, certains cas se joueront au disciplinaire ou via la médiation. C’est alors au RH de faire la part des choses et d’adopter la bonne méthode. 

  1. Il est également important de s’assurer que l’information soit correctement remontée et diffusée (et ne reste pas uniquement entre le collaborateur et le RH).

  1. Pour accompagner au mieux le management, Jeremy Tene invite enfin les RH “à capitaliser sur les bons managers de l’entreprise pour diffuser leurs bonnes pratiques”.

Alors, même si les RH jouent un rôle capital dans la réussite du management dans l’entreprise, ils ne doivent en aucun cas s’y substituer mais continuer à outiller les n+1 pour qu’ils puissent être les managers des bons jours… comme des mauvais !

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