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Alors que certaines entreprises “sans RH” ont vu le jour dans la Silicon Valley, voilà qu’IBM annonce confier 94% de ses tâches RH dites “routinières” à l’IA. Mais alors, la fonction RH est-elle éminemment menacée ? Quels pans du métier sont aujourd’hui entièrement automatisables ? Et l’IA est-elle seulement responsable du manque de considération du métier ?
Encore largement perçue et vécue comme une fonction support, les ressources humaines vont-elles être aspirées par les irrésistibles gains de productivité de l’IA ? A ce jour, 81% des dirigeants font confiance à l'intelligence artificielle générative pour transformer leurs processus RH (Dataiku, 2025), tandis que le retour sur investissement est multiplié par 3,7 pour chaque euro investi en IA générative (Microsoft, 2025).
Pour le spécialiste du genre Jérémy Lamri, Fondateur de Tomorrow Theory, nul doute : certaines fonctions RH vont être irrémédiablement automatisées si elles ne le sont pas encore. “L’administratif et la paie vont sortir de leur scope, et c’est une bonne nouvelle car le périmètre des RH est trop important”. 70% des DRH et des responsables recrutement en France se disent effectivement débordés par leur charge de travail (LinkedIn 2025).
“Sans les outils d’IA, je devrais sûrement embaucher”
Pour Lobna Calleja Ben Hassine, ex Vice-Présidente du Lab RH et conférencière et facilitatrice de l’adoption de l’IA dans les organisations, l’intelligence artificielle va effectivement délester les RH d’une grande partie de leurs tâches à faible valeur ajoutée. “Par exemple, lors d’un processus d’onboarding, les prises de RV se feront de manière automatique, tout comme la checklist de paperasse à passer en revue. Les entretiens RH pourront se concentrer sur l’ambition autour du poste, la culture d’entreprise etc”, illustre-t-elle.
Au sein de Vizcab, Abdelkader Lahouel, Head of People, ne s’en cache pas : “Sans les outils d’IA, je devrais certainement embaucher une autre personne. Pour l’heure j’ai une HRBP et nous sommes une boîte de 60 collaborateurs”.
Fatalement, la fonction RH pourrait donc être drastiquement diminuée pour réallouer le budget vers d’autres départements à l’instar des choix opérés par IBM (commerciaux, développeurs, marketeurs…).
Et l'esprit critique dans tout ça ?
Chez Aésio Mutuelle, Sandrine Favoreau, Directrice du Développement des Compétences, de l’Emploi et de la Prospective, nous explique avoir implémenté l’IA dans son quotidien : aide à l’élaboration des référentiels de compétences, formalisation des compte-rendu de réunion, repasse des supports de communication ou des contenus d’annonce… Mais attention, notre interlocutrice prévient :
“Je vois l’IA comme un incroyable vecteur pour augmenter notre capacité de production. En revanche, tout doit se faire sous la supervision humaine afin de garantir la préservation de l’esprit critique, d’autant que l’IA fait encore beaucoup d’erreurs. Cette vigilance doit être particulièrement prégnante dans l’utilisation personnelle que nous avons de l’intelligence artificielle générative”.
Se pose alors irrémédiablement la question de la formation des futurs RH dans un monde où une grande partie des outils utilisés par ces derniers implémenteront automatiquement de l’IA. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle de l’arrivée d’Internet il y a 20 ans. Sandrine Favoreau y voit d’ailleurs un autre risque : celui que chacun se sente expert et vienne apprendre aux RH leur métier… d’où la nécessité de continuer à former ces derniers. “Ces outils doivent demeurer au service de solides compétences initiales”, insiste Sandrine Favoreau.
Autrement dit, gare à ne pas perdre les fondamentaux du métier, seuls garants de la capacité du RH à interconnecter les sujets entre eux. “Si demain, Chat GPT s’écrasait, je pourrais faire mon métier sans l’IA”, rappelle Abdelkader Lahouel qui demeure persuadé que “mettre les mains dans le camboui est aussi ce qui permet de développer ce fameux esprit critique”.
Une fonction RH qui doit sortir de la gestion quotidienne
Bref, l’intelligence artificielle va automatiser une partie du scope des RH. “Si la fonction RH n’évolue pas vers un rôle stratégique et demeure perçue comme une fonction de support, elle risque de rester marginalisée”, reprend Jérémy Lamri. Car oui, l’IA va dégager du temps pour les RH, mais encore faut-il savoir à quel dessein ? Si la fonction dédiée au dialogue social semble épargnée par l’automatisation, reste celle concernant la gestion des talents (recrutement, formation et mobilité). Pour le fondateur de Tomorrow Theory, c’est ici que le bât blesse. “Pour l’heure, un très grand nombre de RH s’exposent à l’automatisation en restant sur des tâches exécutives ou standards”, lance-t-il, tout en se faisant le fervent défenseur de la profession.
Pour Sandrine Favoreau, si elle veut être respectée et considérée comme un vrai partenaire business, la fonction RH doit davantage travailler en prospective et sortir de la gestion quotidienne.
“Le versant humain est souvent négligé dans les grandes discussions concernant le futur de l’entreprise, alors même que c’est celui qui devrait être positionné en priorité. Mais encore faut-il que les directions fasse confiance à leur fonction RH et que cette dernière sache se positionner”, estime-t-elle.
Intégrer le concept de triple comptabilité
Pour ne plus être perçue comme un centre de coûts, mais une fonction profitable pour le business, Jérémy Lamri exhorte les RH à adopter le concept de triple comptabilité, afin d’intégrer la valeur du capital humain au bilan. Par exemple, mettre en lumière les compétences acquises à travers une formation.
“Mais encore faudrait-il que les RH donnent elles-même l’exemple sur ce volet formation. Trop souvent, la fonction RH n’a pas les moyens ou le réflexe de se former elle-même, alors qu’elle pilote la formation des autres. Cela la prive d’un temps réflexif et apprenant pour se positionner en tant que fonction business”, regrette-t-il.
Il en est donc convaincu : la fonction RH va gagner en puissance dans les prochaines années, mais certainement via une évolution des profils. “Le vrai sujet est celui du change management. Le temps des RH ne peut pas qu’être productif, il doit permettre d'aider les managers à s’autonomiser, renforcer les liens entre les individus et le collectif, travailler en profondeur sur la culture…”, illustre-t-il. D’ailleurs, notre expert ne croit plus au profil du DRH généraliste, mais plutôt à celui du spécialiste capable de travailler main dans la main avec d’autres spécialistes, comme par exemple le learning avec la mobilité.
A quand une fonction RH apprenante ?
Une fonction RH qui ne serait plus “pompier” mais positionnée en amont, axée sur la transformation et non pas la gestion. “Personnellement, je ne crois pas que la fonction RH va disparaître. Elle est quand même encore responsable de nombreux maux pour une fonction inutile (désengagement des collaborateurs, délitement de la culture)...”, pointe Lobna Calleja Ben Hassine avec ironie.
Reste qu’il demeure urgent qu’elle s’adapte à un nouveau paradigme qui l’a certainement encore davantage chahuté que l’arrivée même de l’IA : le basculement d’un rôle identitaire du travail à un rôle utilitaire. “La famille, les passions et les amis sont désormais au même niveau que le travail. Les RH qui continuent à gérer la relation avec les collaborateurs de manière contractuelle sont ceux-là mêmes qui sont les plus menacés par l’IA. L'IA représente certes une menace mais aussi un puissant facteur d'empowerment pour la fonction RH qui doit renaître de ses cendres”, conclut-elle.
Charge donc aux RH de pousser vers un futur plus souhaitable, celui d’une RH augmentée, lucide et audacieuse.
“Notre fonction n’est pas aussi agile qu’on le souhaiterait en raison des contraintes juridiques. Mais il est essentiel que nous puissions embrasser une vision plus stratégique en nous dégageant du temps grâce à l’IA si nous souhaitons intégrer le cœur du réacteur”, conclut Sandrine Favoreau.
