D’un côté, 52% des jeunes ne souhaitent pas manager selon une étude Robert Walters. De l’autre, 71 % des étudiants et jeunes diplômés placent le salaire comme le premier critère incitatif pour intégrer une société selon une étude de l'agence Epoka en partenariat avec Occurrence - Groupe Ifop. Alors, quand il s’agit de corréler le niveau de salaire au niveau hiérarchique, ça peut parfois coincer ! Comment analyser ces nouvelles attentes, et y répondre au mieux ?
C’est une certitude : pour les jeunes comme les moins jeunes, la rémunération demeure centrale quand il s’agit d’opérer ses choix professionnels. “La génération Z souhaite une rémunération juste et compétitive, qui agit pour elle comme un facteur de reconnaissance, pas uniquement un levier économique”, introduit Elodie Gentina, Professeure à l’IESEG et spécialiste de la Gén Z.
Et par rémunération juste, les jeunes entendent une rétribution à la hauteur de ce que peut leur offrir le marché. “Les jeunes consultent beaucoup les benchmarks, mais aussi leurs pairs. L’argent n’est pas un tabou et ils n’ont donc aucun mal à se comparer, et pas plus de pudeur à formuler leurs demandes aux entreprises”, analyse de son côté Luc Bretones, expert en nouvelles gouvernances et chercheur associé à l’ESSEC. Et si certains jetteront leur dévolu sur une entreprise qui subviendra à leurs besoins minimums et leur permettra avant tout d'équilibrer leur vie pro et perso, d’autres tenteront au contraire de maximiser leurs revenus en faisant valoir leur expertise.
La rémunération à l’heure de l'obsolescence des compétences
Computer science, data, IA… autant de compétences techniques qui deviennent rapidement obsolètes et pour lesquelles l’âge n’est pas un handicap mais plutôt une force, surtout pour un jeune qui sort d’une excellente formation. “Ces jeunes ont conscience de la valeur qu’ils apportent à l’entreprise, d’autant plus dans le domaine de l’innovation où l’expertise technique fait la différence”, analyse Luc Bretones. Bref, si une entreprise veut capter un talent rare, elle doit le payer en conséquence…
Outre ces compétences techniques qui peuvent offrir de vrais avantages comparatifs aux entreprises, les jeunes n’hésitent pas non plus à mettre en avant les soft skills et mad skills qu’ils possèdent, comme le soulignait à juste titre l’expert en futur du travail Samuel Durand dans son dernier documentaire : “Skills : make it work”. “Les jeunes n’hésitent pas à valoriser leurs expériences personnelles, comme le fait d’être impliqués dans une association, de monter une boîte tout en travaillant, d’obtenir telle ou telle certification”, pointe Elodie Gentina.
Un management qui ne fait plus rêver
Bien plus centrés sur leurs compétences que leur âge ou leur niveau hiérarchique, les jeunes ne corrèlent donc pas leurs prétentions salariales avec leur accès à des postes de management. “Il existe clairement un désintérêt pour le management à l’ancienne, perçu comme contraignant et chronophage. Et s’ils accèdent à ces postes, c’est plutôt dans une posture de valorisation de leur savoir et de leur leadership, tels des coachs”, poursuit la spécialiste de la gén Z. De même, le rapport à l’autorité de cette génération est bien différent de celui des précédentes, qu’il s’agisse de la cellule familiale ou de la sphère professionnelle : il n’existe plus d’autorité de fait, mais une autorité relationnelle.
Un management en support plutôt qu’en surplomb, qui n’hésite pas à mettre les mains dans le camboui ! Pour Luc Bretones, il est certain que la gén Z ne perçoit pas le manager comme une figure supérieure, mais qui vient plutôt en support. Une fonction parmi d’autres. “En 2025, je suis également convaincu que manager 100% de son temps, c’est suspect”, lance-t-il. L’expert plaide ainsi pour une réinvention du management, sans pour autant manquer de reconnaître sa valeur pour l’entreprise :
“Manager, c’est une tannée ! Je crois qu’il faudrait moins de managers dans l’entreprise - l’expert parle de supprimer toutes les couches napolitaines qui entravent le système plutôt qu’elles ne le font avancer- mais mieux payés”.
Des experts qui rayonnent hors les murs de l’entreprise
Pour Elodie Gentina, l’heure est venue de voir au-delà des murs de l’entreprise. A ce titre, la position d’expert a toute sa place à jouer : “On peut imaginer un expert qui passerait une partie de son temps à gérer des projets en interne, mais aussi à former ou à se former en externe, qu’il soit salarié ou même un freelance qui interviendrait de façon ponctuelle dans l’entreprise”. Mazars ou Capgemini ont déjà levé les clauses d’exclusivité les liant à leurs salariés afin de les laisser transmettre leurs compétences à l’extérieur, mais aussi se former continuellement auprès d’autres structures.
Dans ce contexte où “l’entreprise devient une école apprenante et partageante”, c’est tout le système de rémunération qui doit être repensé. La chercheure imagine ainsi un système de grille salariale qui récompenserait la valorisation publique de l’expertise, soit la capacité à représenter l’entreprise, à réseauter, à former. Il s’agirait aussi de valoriser les jeunes en tant qu'ambassadeurs de la marque employeur, et dans leur capacité à aider l’entreprise à recruter.
De nouvelles grilles de rémunération… pour une nouvelle culture d’entreprise
“Tout cela bien sûr ne fonctionne que dans les entreprises qui ne sont pas pyramidales, et qui acceptent de ne pas corréler le niveau de salaire au niveau hiérarchique”, souligne Elodie Gentina. Valoriser les parcours d’experts et de contributeurs individuels au même titre, voire mieux que les strates managériales, est déjà une réalité dans les pays anglo-saxons. “En France, c’est encore rare même si cela existe dans des boîtes plus avant-gardistes”, affirme Luc Bretones.
Pour lui, que l’on soit jeune ou moins jeune, c’est avant tout un état d’esprit qu’il convient de valoriser : celui de la soif d’apprendre, de se remettre en question, quel que soit le stade de sa carrière. “Tout le monde peut apprendre aujourd’hui tant les ressources sont accessibles”, souligne-t-il.
Reste aux entreprises à objectiver leurs choix en matière de rémunération en reconnaissant la valeur ajoutée de chacun. Pour neutraliser le dialogue, la transparence est plus que jamais de mise, tout comme des outils comme le 360 qui permettent de factualiser au maximum.
“Les écarts injustifiés passent mal auprès des jeunes générations. il n’est plus possible d’avoir un système de rémunération seulement basé sur la séniorité et l’âge”, renchérit Elodie Gentina.
Des jeunes qui sont également en quête de packaging différenciés, prenant en compte la capacité de l’entreprise à assouvir leur besoin d’autonomie et de développement de leurs compétences. Autant de ressources pour faire éclore leur motivation intrinsèque… qui va bien au-delà de l’argent.