Compversation #12 - Payez comme vous êtes
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La rem, un outil marque employeur ?
Le comp & ben, est-ce une simple question d’optimisation ?
Est-ce que notre mission se résume à résoudre cette équation, toujours la même : « Recruter le meilleur candidat possible au moindre coût possible » ?
Les meilleurs talents choisiraient toujours les plus offrants, tandis que les autres seraient contraints d’accepter des propositions moins généreuses.
Or nous savons que concrètement, sur le terrain, c’est loin d’être le cas. Et heureusement.
Notre travail de comp & ben ne se limite pas à son aspect financier. Et nous sommes nombreux à trouver l’approche purement financière caricaturale.
Il y a autre chose qui entre en jeu à chaque fois que nous prenons une décision de rémunération. Quelque chose comme « l’esprit » d’une entreprise. Ou plus exactement : sa culture.
Un pendant trop longtemps ignoré de la culture d’entreprise ?
Comment votre entreprise présente-t-elle sa culture ?
Je pourrais le savoir en faisant un tour sur les onglets « Qui nous sommes » ou « About us » de votre site corporate. Je pourrais sans doute comprendre comment vos valeurs se reflètent sur votre manière de travailler, de collaborer, de vous reposer, d’innover, de recruter…
Il est beaucoup plus rare que j’apprenne quelque chose sur votre manière de payer.
Ce n’est pas surprenant : un tabou a longtemps pesé autour de la question de la rémunération.
Ce n’était pas quelque chose dont on pouvait discuter ouvertement… et on pouvait encore moins annoncer sa politique salariale de but en blanc, sur son site.
Aujourd’hui, ce tabou se lève progressivement. Rémunération et culture d’entreprise seront plus que jamais inséparables.
Car à l’ère de la transparence, les décisions de rémunération ne pourront plus être laissées au hasard.
La culture d’entreprise pourra servir de boussole pour aider à prendre ces décisions…
… et à les justifier ensuite.
Pour cela, il faut tendre vers un alignement entre culture d’entreprise et politique salariale.
Prenons l’exemple de Netflix, qui a une forte culture de la performance.
C’est une boîte qui paie dans la fourchette haute du marché, mais qui a aussi de grandes exigences envers ses salariés. Elle accorde même des primes à la démission, considérant que les salariés qui préfèreraient partir devraient être encouragés à le faire, car ils ne sont pas suffisamment impliqués.
D’autres boîtes, qui ont un élément culturel et identitaire fort, mettent l’accent sur le succès collectif et le partage de la valeur : je pense à Leroy-Merlin, par exemple.
Les entreprises paient comme elles sont : c’est une raison pour laquelle l’approche purement financière ne peut pas fonctionner.
La « RSE » de demain ?
Tout cela, les entreprises seront bientôt obligées de l’expliquer clairement.
Les décisions de rémunération devront être justifiées… Et présentées de manière favorable aux salariés et aux candidats.
Mais ce qui était d’abord une contrainte (légale ou imposée par l’évolution du marché) peut se transformer en atout. Nous en avons un exemple probant : la RSE.
Aujourd’hui, la RSE n’est plus une simple question de compliance. C’est aussi un enjeu majeur de marque employeur.
Les entreprises ne se contentent pas de respecter leurs obligations légales : elles mettent en avant leurs engagements et leurs convictions pour affirmer qui elles sont.
Je me demande si nous allons assister à un mouvement similaire autour de la rémunération.
Les entreprises seront contraintes d’afficher des chiffres, certes : des fourchettes salariales pour chaque poste, des points de pourcentage d’écart hommes-femmes…
Mais il faudra que ces chiffres soient accompagnés d’un storytelling pour être mis en contexte.
Il y a fort à parier que les « bons élèves » de la rémunération se lancent dès à présent dans le « pay branding ».
Ils utiliseront leurs « pay identity » comme argument de marque employeur.
Maîtriser son storytelling de rémunération
Il n’est pas simple de trouver la bonne manière de parler de sa politique de rémunération.
C’est une discipline naissante, et il y a fort à parier que dans les mois ou années à venir, nous assisterons à des tentatives plus ou moins concluantes.
Il y a un équilibre subtil à trouver entre le fait de parler des grandes valeurs qui déterminent la prise de décision…
Et les manières concrètes dont elles sont mises à l'œuvre : les budgets moyens d’augmentations, les critères pris en compte pour augmenter ou non.
Les entreprises vont se perfectionner au fur et à mesure, notamment celles qui s'alignent sur la médiane du marché et en-deçà :
Comme leurs rémunérations en elles-mêmes ne leur permettent pas de se démarquer, elles auront besoin de mettre l’accent sur les valeurs de leur politique salariale.
La dernière newsletter d’Anita Lettink nous donne des exemples de la manière dont différentes grandes boîtes choisissent de parler de leur gender pay gap : Unilever, Barclays, ASDA, GSK…
Certes, ces rapports répondent à une obligation légale, instaurée au Royaume Uni depuis 2018.
Mais Anita Lettink fait remarquer la grande diversité avec laquelle ces différentes entreprises choisissent de présenter leurs chiffres.
Avec un écueil important : les entreprises qui se contentent de faire le strict minimum ne pourront pas faire passer leur compliance comme un atout marque employeur…
Sous peine de se faire démasquer par candidats et salariés à l'œil de plus en plus aiguisé.
Un peu comme les entreprises qui, en France, se vantent dans leurs offres d’emploi de rembourser la moitié du titre de transport de leurs salariés…
Alors que c’est juste une obligation légale !
Ce genre de tentative pour “noyer le poisson” ne passera bientôt plus.
Surtout s’il s'adresse aux générations futures : d’après un rapport d’EY, les membres de la génération Z seraient 92% à trouver que l’authenticité est une valeur cruciale. Et ils représenteront 58% de la force de travail globale en 2030.
La conclusion est donc claire: le storytelling de demain sera sincère ou ne sera pas. Et cela passe par une explicitation claire de sa politique de rémunération.
Pour continuer la conversation
Une sélection de contenus pour nourrir la réflexion. N’hésitez pas à m’envoyer les articles qui vous ont semblé intéressants !
Resisting Pay Transparency Isn’t Just Futile—It’s Foolish - Forbes - Robert Sheen (En Anglais)
Une tribune de plus, dans Forbes, pour faire un même constat : l’arrivée de l’ère de la transparence en entreprise est désormais inévitable. Pourtant, ce texte de Robert Sheen n’est pas répétitif : il résume bien les dernières évolutions et donne des recommandations concrètes aux entreprises qui souhaitent revoir de fond en comble leur politique salariale… avant de pouvoir communiquer dessus.
Transparence des rémunérations, égalité salariale… Où en sommes-nous ? - Isabelle Bastide - HBR France
Un article exhaustif, dans l’édition française du Harvard Business Review, pour prédire les manières dont la transparence pourrait « rebattre les cartes » du marché de l’emploi… Et une belle prédiction sur la manière dont les entreprises devront activer différents leviers de leur marque employeur pour se différencier.
14% of companies say workers have quit after seeing jobs with higher pay following transparency laws - Jennifer Liu - CNBC (En anglais)
Le scénario catastrophe des boîtes les plus réfractaires à la transparence commence à se réaliser : une enquête de Payscale présentée par la CNBC montre comment les « mauvais élèves » de la transparence peinent déjà à retenir leurs talents, plus informés et exigeants que jamais.