Compversation #2 - c'est pas le chiffre qui compte
Partager
C'est pas le chiffre qui compte
La nouvelle directive européenne sur la transparence salariale inquiète dans notre milieu.
Un responsable comp & ben d’une entreprise du CAC40 m’avouait récemment : « On est pas prêts. Si on devait rendre publiques nos fourchettes salariales demain, ce serait un désastre. Il y a trop d’incohérences qu’on pourrait pas assumer. »
C’est une problématique qui revient souvent. Sans surprise, la nouvelle directive européenne était au centre de la récente convention annuelle des rémunération du cercle ORAS à laquelle j’ai participé.
Et bien, c’est normal. Le comp & ben a longtemps été considéré comme la boîte noire des entreprises.
Confidentialité, discrétion et négociations individuelles étaient les piliers des politiques de rémunération. Évidemment qu’il n’est pas possible de faire lumière sur une boîte noire, du jour au lendemain, sans provoquer de dégâts au sein d’une organisation. Cette inquiétude transparaît aussi dans vos réactions enthousiastes au premier numéro de cette newsletter.
Je vous remercie pour ces échos positifs, qui me confortent dans ma démarche : notre secteur fait face à un défi considérable - nous devons mettre nos réflexions et nos expériences en commun pour le relever. C’est pour ça que j’ai lancé The Compversation.
Seulement voilà : ce défi, ce n’est pas celui des chiffres. Il y en a un autre, bien plus crucial.
Le défi de la transparence
C’est vrai : à terme, quand cette directive entrera en vigueur, les entreprises devront divulguer leurs fourchettes de salaires. On pourrait croire à un tournant inédit, une révolution brutale dans le monde du comp & ben.
Mais il s’agit surtout d’une étape parmi d’autres dans un processus déjà engagé et dont les premiers effets se font sentir : le passage à l’ère de la transparence.
Collaborateurs et candidats portent une attention toujours croissante à l’impact des activités de leurs entreprises et surtout aux valeurs de leurs employeurs. Celles-ci ne doivent pas simplement être proclamées dans les communiqués de presse, mais se traduire dans la pratique.
Les décisions discrétionnaires sont de moins en moins acceptées. Les salariés ont de plus en plus le courage de challenger leurs dirigeants et leurs équipes RH pour leur demander des comptes. De la RSE aux pratiques RH, ces nouvelles exigences se font déjà sentir pour la plupart des entreprises.
Il est donc normal que cette évolution se reflète sur les questions de rémunération, avant même que la directive n’entre en vigueur. Ce changement est déjà en cours et on en voit les effets. Et pour l’accompagner (voir le devancer), il ne suffit pas simplement de publier des chiffres. Pire : le faire sans y être prêt pourrait être une erreur.
Passer du « combien » au « pourquoi »
Car les chiffres en eux-mêmes comptent peu. Ce qui compte, c’est le pourquoi du chiffre. Comment on en est arrivé à cette fourchette-là, pas une autre ?
Si on se focalise sur la question de la divulgation des fourchettes salariales, on risque de se tromper de problème. Car la bataille de la transparence ne se joue pas forcément sur les montants, mais sur l’équité perçue par les candidats et employés.
C’est ce que démontre une étude menée par la Josh Bersin Company : l’équité des salaires compte 13 fois plus que le montant aux yeux des collaborateurs.
Alors chaque chiffre publié doit être accompagné d’une justification claire, nette et précise. Sans quoi, on ouvre la porte aux remises en cause, aux négociations, et donc, aux décisions arbitraires. Il est nécessaire de pouvoir présenter des politiques salariales cohérentes et justes. Concrètement, cela veut dire qu’il ne faut pas forcément augmenter la moyenne des salaires pour se préparer à la transparence.
Mais cela veut aussi dire que payer au-delà de la moyenne du marché ne suffira pas à vous assurer la loyauté de vos collaborateurs. Même les augmentations n’auront pas l’effet escompté si elles sont incomprises. Alors il faut avant tout être au clair sur le pourquoi et donc clair sur la philosophie de rémunération.
L’étude de Josh Bersin, j’ai pu la vérifier in situ chez Figures : nos salaires sont pile dans la médiane du marché, mais nous sommes très transparents dès l’offre d’emploi sur le pourquoi de nos salaires. Nous avons des candidats qui acceptent de baisser leur rémunération pour nous rejoindre.
Parce que nous sommes intransigeants sur l’équité de notre politique salariale et que nos collaborateurs y adhèrent. Pour eux, savoir qu’ils bénéficieront d’un traitement équitable compte plus que les quelques milliers d’euros qu’ils sont garantis de pouvoir trouver ailleurs.
Savoir se poser les bonnes questions
Encore faut-il avoir une politique salariale uniforme, basée sur des principes clairs. C’est là où les choses se compliquent quelque peu. Car dans la pratique, les grilles salariales sont souvent le fruit d’une somme de décisions individuelles, un héritage historique qui dépend de circonstances particulières et difficilement justifiables aujourd’hui.
C’est exactement pour cette raison que le rôle du comp & ben est si crucial en cette période de transition. Sa responsabilité ne se borne pas à déterminer le « combien ». Il doit au contraire aider les dirigeants de son entreprise à construire le « pourquoi » de leur politique salariale.
Dans un premier temps, il ne donne pas de réponse chiffrée, mais se contente de poser les bonnes questions :
Comment notre entreprise se positionne-t-elle sur le marché ? Avec qui pouvons-nous nous comparer ? Quels critères prenons-nous en compte dans le package d’embauche ? Comment valorise-t-on la performance ?
C’est à nous, comp & ben, qu’incombe la tâche difficile de guider les entreprises dans le processus qui leur permettra, à terme, de publier sans inquiétude leurs fourchettes salariales. Des fourchettes claires, équitables, comprises et acceptées de tous.
Pour aller plus loin
Une sélection de contenus pour nourrir la réflexion. N’hésitez pas à m’envoyer les articles qui vous ont semblé intéressants !
Dans les entreprises, les RH bousculées par les attentes d’une jeune génération exigeante - Margherita Nasi - Le Monde Campus
La transparence n’est pas qu’une question de rémunération. Elle devient une exigence absolue pour une génération de jeunes actifs qui attendent que leurs entreprises mettent leurs valeurs en acte, et qui n’hésitent pas à le réclamer haut et fort. S’il ne se concerne pas directement le sujet du comp & ben, cet article permet de se rendre compte que la transparence salariale n’est qu’une étape dans une évolution plus globale.
« Les lois sur la transparence salariale ont fait baisser les salaires de 2 % en moyenne » - Pauline Grosjean - Le Monde
Les lois sur la transparence des salaires sont-elles vouées à l’échec ? Je suis allé creuser en lisant le papier publié cité par la journaliste. Il s’avère que l’étude porte spécifiquement sur la transparence individuelle des salaires et qu’il s’agit d’une méta-analyse de plusieurs études faites dans le contexte du marché américain. À mon sens, cette étude ne nous permet pas de faire des prédictions sur l’effet qu’auront les lois de transparence sur le marché français. J’en dis plus ici !
How to build a really good compensation policy - Jessica Zwaan - Medium
Savoir construire une bonne politique de rémunération est un défi considérable. C’est un projet au long cours, qui nécessite de déterminer les valeurs, le positionnement et les priorités d’une entreprise. On serait bien audacieux de proposer une méthode pour y arriver.
Mais l’audace, c’est ce qui caractérise Jessica Zwaan, Chief People Officer chez Whereby. Dans cette série de trois articles, elle explique comment construire une politique de rémunération efficace en se basant sur un modèle de pricing.