Compversation #4 - Plus royaliste que le roi
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Voilà, on y est.
Les premières retombées concrètes de la directive européenne pour la transparence salariale s’annoncent.
Depuis sa promulgation en mai 2023, on se demandait quand et comment elle se traduirait dans la loi française.
Pas avant 2026, assuraient les plus littéralistes.
Sur le papier, les États membres avaient trois ans pour appliquer la directive dans leur législation nationale.
Nous, les comp & ben, pouvions encore nous rassurer : nous avions le temps de voir venir.
Trois ans pour régler les incohérences et paradoxes internes de nos systèmes de rémunération avant de devoir les rendre publiques.
Trois ans pour évangéliser et préparer le changement.
Mais le 16 octobre dernier, les choses se précipitent. À l’occasion d’une conférence sociale avec les syndicats et le patronat, Elisabeth Borne annonce la refonte de l’index d’égalité homme-femme pour le rendre compatible avec la directive…
Et dans un horizon de dix-huit mois.
De toute évidence, le gouvernement a l’intention de devancer le calendrier imposé par l’UE.
Un index qui ne tient pas ses promesses
Il était prévisible que l’index d’égalité homme-femme soit le premier à faire les frais de la nouvelle directive.
Instauré dans le cadre de la loi du 5 septembre 2018, cet index devait être un instrument de mesure efficace, permettant d’identifier et de sanctionner les entreprises aux pratiques inégalitaires.
Un grand pas en avant dans la lutte pour l’égalité : pour la première fois, les employeurs étaient soumis à des obligations de résultats, pas uniquement de moyens.
Seulement voilà : dans la pratique, l’index ne tient pas ses promesses.
D’une part, il ne concerne qu’un quart environ des salariés du privé : de trop nombreuses exclusions permettent aux entreprises de s’en dispenser.
D’autre part, les modalités de calcul sont trop complexes pour être vraiment impactantes.
L’index est composé de quatre indicateurs qui tendent à invisibiliser les inégalités effectives et laissent une marge de manœuvre aux entreprises.
Preuve en est : avec les années, les scores des entreprises au global progressent, mais « la mise en place de l’Index n’a pas d’effet détectable sur les inégalités femmes-hommes dans les entreprises concernées entre 2018 et 2020 », comme le montre l’étude du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques.
Pour un index censé promouvoir la transparence, il est plutôt obscur : les notes sur 100 sont difficiles à comprendre et à évaluer par collaborateurs et candidats.
Un score de 75, de 80, est-il une bonne ou une mauvaise chose ?
Bien avant la promulgation de la directive, observateurs et chercheurs pointent du doigt les dysfonctionnements de l’index : c’est le cas de l’économiste Thomas Breda dans un rapport d’évaluation de l’index, mais aussi de l’ONG Oxfam et des économistes du travail Anne Bustreel et Martine Pernod-Lemattre.
La question des inégalités salariales n’attend pas
En termes de lutte pour l’égalité salariale, on ne pouvait donc pas se contenter de cela.
D’une part, parce que la directive européenne imposera bientôt aux entreprises d’afficher l’écart salarial entre hommes et femmes. Cet écart, exprimé en point de pourcentage, sera bien plus clair pour les candidats et les salariés : les entreprises ne pourront plus se cacher derrière l'index !
Quand on sait qu’en 2021, dans le secteur privé en France, les femmes gagnaient encore 24% de moins que les hommes 15% de moins à temps de travail égal (source : Insee) comment accepter que notre indicateur principal passe une partie du problème sous silence ?
Bien sûr, ce problème n’est pas simple à mesurer et encore moins à régler.
Il dépend de facteurs qui dépassent la seule question de la rémunération : il est la résultante de tensions sociétales et historiques plus profondes.
C’est l’économiste Claudia Goldin, nobélisée cette année, qui a démontré que l’écart salarial s’approfondit au cours de la vie d’une femme en raison notamment du déséquilibre de la charge parentale.
Lorsqu’elles deviennent mères, les femmes voient leurs carrières ralentir. Elles travaillent moins longtemps, sont moins flexibles et disponibles, ce qui leur interdit l’accès aux positions les plus élevées. Un phénomène que les sociologues nomment Pénalité Maternelle, analysé ici par Laetitia Vitaud.
Si on se fie uniquement à des indicateurs ajustés au nombre d’heures, ce phénomène risque bien de passer inaperçu.
Mais il n’y a pas que le plafond de verre : les parois de verre empêchent les femmes de se diriger vers les secteurs et métiers les plus rémunérateurs, dès leurs études.
Tout cela dépasse notre périmètre de comp & ben… et même celui des politiques RH.
Devancer la révolution de l’égalité salariale
Pourtant, nous devons absolument nous montrer proactifs sur ces questions-là.
La révolution de l’égalité arrive : les écarts salariaux entre hommes et femmes seront de moins en moins acceptables. Et ce n’est pas uniquement une question de législation.
Bien que nous soyons impuissants, à notre échelle, à régler le problème dans son ensemble, je pense que le pari gagnant est de se montrer irréprochable aux seins de nos entreprises.
Plutôt que de nous contenter de nous acquitter de nos obligations légales, nous avons intérêt à aller plus loin en affichant des indicateurs clairs et en oeuvrant pour un écart salarial homme-femme de 0% à poste, séniorité, et lieu de vie égale.
C’est possible : une étude menée par Figures démontre que la transparence salariale est directement corrélée à l’égalité salariale et favorise l’accession des femmes aux postes de responsabilité.
Les entreprises qui font le choix de l’égalité et de la transparence avant d’y être obligées ont beaucoup à gagner.
Nous devons, sur la question de l’égalité, nous montrer plus royaliste que le roi.
Pour continuer la conversation
Une sélection de contenus pour nourrir la réflexion. N’hésitez pas à m’envoyer les articles qui vous ont semblé intéressants !
It's here: equal pay for equal work - Anita Lettink - anitalettink.com (En anglais)
Spécialiste du Future of Work et de l’égalité homme-femme au travail, Anita Lettink brosse un tableau de la situation des femmes au travail avant l’adoption de la directive européenne et donne des pistes pour l’appliquer concrètement.
Prix Nobel d’économie : Claudia Goldin, « Femina economicus » - Le Monde - Antoine Reverchon
Le Monde revient sur le travail de l’économiste Claudia Goldin, nobélisée cette année pour son travail sur la place des femmes dans le monde du travail. L’article souligne notamment l’effet de la maternité sur les carrières des femmes.
Plus de transparence des salaires pour plus d'égalité homme-femme - Figures - figures.hr
Notre analyse sur l’écart de rémunération entre les sexes. En interrogeant 960 de nos clients, nous avons réussi à démontrer que plus de transparence salariale voulait dire plus d’égalité entre les sexe.