Compversation #6 - Une science exacte ?

21/10/2024
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Sommaire

L’évaluation de la performance, un casse-tête de comp & ben ? 

On a raison d’avoir peur de l’ère de la transparence. 

C’est ce que m'écrivait Soufiane Hilali, directeur Com & Ben chez Ogury, en réponse au dernier numéro de cette newsletter :  

“J'y crois à la transparence depuis que j'ai commencé ce métier. Par contre, ça me fait peur. Et ne pas avoir peur de la transparence et de l'importance d'aligner les politiques (s'il y en a) avec les pratiques est pour moi une faute professionnelle.”

Pourtant, Soufiane Hilali mise sur la transparence depuis 2012. Pour valoriser la politique de rémunération de son entreprise de l’époque, il met en place “des grilles de salaires avec passage automatique au niveau suivant après X années si la performance est au rendez-vous.” 

En 2012, c’était un acte précurseur !

La performance, justement : c’est logiquement vers ce critère que l’on se tourne lorsqu’on veut mettre en place une politique comp & ben plus juste et plus efficace. 

Récompenser chacun à la mesure de sa performance, rien de plus simple, n’est-ce pas ?

Sauf que ce critère est loin d’aller de soi. 

Bien évaluer la performance de ses équipes c’est déjà tout un art… 

Quand on veut traduire ces évaluations en augmentations chiffrées, ça peut vite se transformer en casse-tête.  

Comment passer du flou au précis ? 

Chaque décision de rémunération doit pouvoir être justifiée par des critères objectifs. 

Voilà le mot d’ordre qui s’impose aux entreprises pour cette nouvelle ère de la transparence. 

En principe, cela n’empêche pas de mettre en place des politiques de rémunération individualisées, qui récompensent et retiennent les top performers. 

Il suffit, pour cela, de baser ses décisions de rémunération sur les évaluations de performance. En principe seulement. 

Car l’évaluation de la performance est loin d’être une science exacte. C’est une appréciation complexe et faillible, faite d’impressions subjectives. Au mieux, c’est un indicateur approximatif. 

En cause : les nombreux biais que peuvent avoir les managers ou les pairs au moment de noter la contribution de leurs collaborateurs. Des mécanismes cognitifs difficiles à combattre. 

D’après trois études distinctes citées par Marcus Buckingham dans le HBR, plus de la moitié des variations de notations qu’un manager attribue à un collaborateur dépend du manager lui-même, pas de la personne évaluée. Marcus Buckingham en conclut que la plupart des données RH que nous avons n’est pas fiable. 

Cela expliquerait pourquoi la majorité des CEO ne trouve pas que le processus d’évaluation soit utile pour repérer les top performers (selon une étude McKinsey, datant de 2019). Pour certaines fonctions (les équipes commerciales, par exemple) il peut être possible d’établir des objectifs chiffrés.

Mais même dans ces cas, il faut savoir définir et mettre à jour ces objectifs dans un environnement changeant. 

Sans parler des fonctions où la performance est plus difficile à évaluer. 

Je ne compte plus les conversations que j’ai eues avec des DRH autour de ce casse-tête : mais comment faire pour évaluer les développeurs ? 

Il faut quand même réussir à trancher. Parce que la rémunération, elle, est une question de chiffres. 

Il faut obtenir du précis à partir du flou. Se débrouiller pour transformer ces évaluations approximatives en pourcentages d’augmentation. 

Mais à l’ère de la transparence, on ne peut pas se contenter de justifications approximatives. 

L’usine à gaz des évaluations de la performance

C’est un sujet auquel je me suis confronté durant mes années chez Criteo. 

Pour obtenir des évaluations de performance justes, nous avions mis en place des processus longs et complexes, avec un système de peer review. 

Mais même dans ce cas-là, difficile de se débarrasser des biais. 

Les processus de peer review, qui peuvent sembler équitables, ouvrent la porte au lobbying, surtout lorsque les évaluations sont liées au revenu. 

C’est aussi le problème que soulève Jessica Zwaan dans son excellent guide en trois parties autour du lien entre performance et rémunération. 

Elle propose une méthode précise pour mesurer et calibrer les évaluations de la performance et, enfin, prévoir leur impact sur le budget des rémunérations. 

Jessica le dit : c’est un processus long et complexe, qui nécessite de l’investissement de la part des managers et des équipes RH. 

C’est délicat, lorsque l’on constate, globalement, que les managers sont débordés et n’ont pas suffisamment de moyens pour mener à bien leurs responsabilités. 

La question de l’accompagnement des managers et leaders fait même partie des 5 priorités RH identifiées par Gartner pour 2024 : 75% des RH interrogés pensent que les managers de leurs entreprises sont débordés par l’accroissement de leurs responsabilités. 

La science pour contrer les biais humains

Ok, alors, dans ce cas, quelles solutions pour faire le lien entre le monde de l’évaluation des performances et celui de la rémunération ? 

Soit on met en place des processus d’évaluation et de calibration longs et complexes, qui viendront s’ajouter aux responsabilités de managers déjà débordés… 

Soit on se contente de processus d’évaluation moins exhaustifs. Et dans ce cas-là, on décorrèle totalement la performance et la rémunération. 
Parce qu’à l’ère de la transparence, on ne peut pas vraiment se contenter d’approximations. 

Il reste possible de fixer des des objectifs de groupe afin de gommer les inégalités internes perçues entre des rôles qui ont un impact proche mais des valeurs marché différentes.

Il se pose un autre problème, dans ce cas là. Comment faire pour récompenser et retenir les top performers

La question reste ouverte. 

La rémunération basée sur les compétences plutôt que sur la performance est une piste intéressante (je vous parlerai de la competency-based compensation bientôt !) 

Moi, je suis très optimiste sur le rôle de la science pour nous apporter de nouvelles solutions. 

Je ne parle pas seulement des algorithmes d’intelligence artificielle : si on les applique à des données biaisées ou erronées, ils ne peuvent pas donner de résultats justes. Mais je pense que la science pourra nous permettre d’identifier les meilleures manières d’obtenir des évaluations justes et précises, qu’on pourra ensuite traiter grâce aux algorithmes.

Jessica Zwaan (oui, encore elle) et ses équipes ont développé une méthode de peer reviews plus fiables en se basant sur les recherches de l’université de Wharton pour noter leurs étudiants. C’est une initiative qui me fascine (vous trouverez plus de détails ci-dessous). 

Et je pense que ce sera là un des effets positifs de l’ère de la transparence : on va voir fleurir des solutions innovantes à ce problème. 

J’ai hâte d’entendre vos réflexions ou vos témoignages sur la question. N’hésitez pas à m’écrire pour me les partager !  

Pour continuer la conversation

Une sélection de contenus pour nourrir la réflexion. N’hésitez pas à m’envoyer les articles qui vous ont semblé intéressants ! 

So I guess we can instantly calibrate performance data now??? 🤨 - Jessica Zwaan  - jessicamayzwaan.medium.com (En anglais) 

Jessica Zwaan présente l’algorithme Peerful qui permet de calibrer instantanément les évaluations de performance grâce au machine learning 

Top 5 HR trends and priorities for Leaders  - Gartner (En anglais) 

Les insights de Gartner pour se préparer aux défis que les RH auront à affronter en 2024. Le plus frappant pour moi : plus de la moitié des RH considèrent que les outils technologiques à leur disposition ne correspondent pas à leurs besoins. 

Le rôle de manageur attire toujours, mais pas ses conditions de travail - Anne Rodier -Le Monde

Même sonnette d’alarme dans les colonnes du Monde en ce qui concerne la charge de travail des managers : “61 % des cadres manageurs ont le sentiment d’une charge de travail insurmontable (vs 46 % des cadres non managers)”. L’article revient sur le baromètre de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) publié jeudi 9 novembre.

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