Compversation #7 - Les algos, nos alliés ?

18/11/2024
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Le rôle de l’IA dans le comp & ben

Comment faire pour prendre des décisions justes, équitables et efficaces, quand le concept même d’équité est difficile à définir ? 

À l’âge de la transparence, salariés et candidats ont de plus en plus de mal à se contenter d’explications vagues et de décisions arbitraires, fruits de négos confidentielles. 

C’est une bonne nouvelle pour la société dans son ensemble. Mais nous, les comp & ben, savons ce que cela implique, concrètement : des processus RH toujours plus complexes. 

À chaque étape du cycle de vie de l’employé, une infinité de critères entrent en ligne de compte. Certains relatifs à l’état du marché, d’autres aux qualifications individuelles de chacun : les deux, de plus en plus difficiles à évaluer. Les critères les plus normalisés sont régulièrement contestés. 

Par exemple : prendre en considération l’origine du diplôme, est-ce équitable ? Par forcément, selon un récent arrêt de la cour de cassation
Un nombre croissant de jeunes entreprises se détournent de ce critère qui ne les renseigne pas sur la véritable valeur ajoutée de chaque collaborateur.

Les offres d’entrée et les réévaluations de salaire deviennent de plus en plus complexes.

Il faut régulièrement générer des offres et des revues de salaire qui soient à la fois : attrayantes, en cohérence avec l’état du marché et la politique de rémunération interne et surtout… 

…conformes au cadre législatif qui risque de se durcir sur les questions d’égalité salariale.  

Mission impossible ?

Nous avons besoin d’une aide à la décision 

Ce phénomène de complexification n’est pas propre aux RH, encore moins au domaine du comp & ben. Tous les métiers sont submergés d’informations et de données qu’il faut comprendre, trier et savoir utiliser. Dans cet environnement, l’IA est un précieux allié. 

Les algorithmes peuvent efficacement « digérer » toutes ces informations avant de proposer des solutions adaptées aux problématiques business.

D’ailleurs, l’usage de l’IA n’est plus relégué aux fonctions tech. Il se généralise aux dirigeants qui sont de plus en plus nombreux à utiliser eux-même l’IA dans leur quotidien (McKinsey, The State of AI in 2023)

Il me semble impensable que les algorithmes d’IA ne prennent pas de plus en plus de place dans le domaine du comp & ben. Et ce, tout au long du cycle de vie de l’employé. 

Si nous leur fournissons des données pertinentes sur l’état et les tendances du marché et la politique de rémunération interne, les algorithmes pourront, peut-être plus efficacement que les humains, suggérer des offres à l’embauche non biaisées.

Sans se laisser influencer par des facteurs subjectifs tels que les capacités de négociation de tel ou tel candidat. De même, l’épineuse question de l’évaluation de la performance promet d’être transformée par le recours aux algorithmes. 

Si on arrive à faire des évaluations de performance plus justes grâce à l’IA, notre rôle de comp&ben sera plus simple : il sera plus facile, et moins contestable, d’utiliser celles-ci pour suggérer des augmentations de salaire annuelles.
Enfin, à l’échelle de l’entreprise, les algorithmes peuvent nous donner une vue surplombante qui permet de budgétiser les dépenses salariales en amont… 

Et peuvent nous aider à mener des audits internes pour détecter de potentielles inégalités internes, notamment homme-femme : une perspective intéressante que nous étudions avec intérêt chez Figures. 

Une transition épineuse ? 

Les avantages du recours à l’IA dans le domaine du comp & ben sont nombreux. Mais la transition reste délicate par rapport à d’autres métiers, comme le marketing ou le développement de produit. 

D’une part, parce que les données que nous utilisons sont particulièrement sensibles et doivent être protégées. Mais aussi, parce que nous avons tendance à penser que les employés auront du mal à accepter que leur rémunération soit décidée par un algorithme.

D’après Gartner, 60% des comp & ben, y voient un obstacle principal au recours à l’IA. Or cette crainte est peut-être un mythe. Dans la même étude, Gartner démontre que les salariés ne font pas moins confiance aux algorithmes qu’à leurs managers pour prendre des décisions de rémunération.
En fait, l’origine de la décision à un impact minime par rapport à la décision elle-même (elle sera perçue positivement si elle est positive et négativement si elle est négative). 

En tant que DRH chez Criteo, j’ai moi-même pu constater que ce mythe était parfois infondé. Nous avions mis en place un algorithme qui suggérait des augmentations personnalisées sur la base du comparatio de chaque collaborateur et de son historique d’évaluation de performance.Ce processus avait été très bien perçu par les équipes, qui y voyaient une source de décision plus fiable et moins arbitraire. 

(Il faut préciser que j’étais DRH des équipes techniques, une population technophile par essence.)

J’ai vu l’effet en termes de temps gagné et de sérénité pour les salariés, pour les managers et pour mes équipes. Les processus de revue sont souvent douloureux et longs : l’IA leur permettait de gagner du temps. Surtout lorsqu’il faut jongler avec de grands volumes (pour établir ou revoir des fourchettes de salaires, par exemple).

Et que les managers, de plus en plus débordés, voient les décisions de rem comme une charge supplémentaire (j’en parlerai dans un prochain numéro). 

S’ils ont accès à des suggestions de rémunération justes et efficaces, ils seront nombreux à se fier aux algos (comme le démontre une expérimentation menée chez IBM). Il ne s’agit pas de donner le dernier mot aux algos, mais d’en faire un outil de plus dans l’arsenal des décideurs. 

« C’est pas moi, c’est l’IA ? »

Cela ne veut pas dire qu’il faut se ruer sur les algorithmes sans prendre de précaution. Il y a bien sûr, la question de la confidentialité des données et de leur protection, le recours à des algorithmes sécurisés. 

Mais n’oublions pas le contexte législatif et sociétal : en termes d’équité, la charge de la preuve incombe désormais à l’entreprise. Toute décision de rémunération doit pouvoir être justifiée. 

Les modèles d’IA auxquels nous avons recours doivent limiter les risques de l’entreprise et non l’exposer à de nouveaux dangers. Les décisions de paie ne peuvent pas être justifiées par un simple : « la machine l’a voulu ». 

Bien au contraire : les algorithmes d’IA ne peuvent pas être des boîtes noires. Les comp & ben doivent faire la part belle à l’explicabilité de leurs algorithmes : on doit pouvoir savoir en fonction de quels critères telle ou telle décision a été prise. 

La qualité des données est cruciale, elle aussi : les données qui reflètent les inégalités existantes risquent de générer plus d’inégalité encore. Rappelons que l’IA, même générative, ne fait que répliquer l’existant pour faire de nouvelles suggestions. 

Les entreprises qui souhaitent y avoir recours doivent dès lors se lancer dans un processus d’assainissement de leurs données pour s’assurer d’avoir des data RH de qualité.

Condition sine qua none à l’utilisation des algorithmes. L’IA n’est que la dernière étape d’un long travail de people analytics. Malgré tous ses obstacles et précautions nécessaires, je pense que l’IA est une opportunité remarquable pour notre métier. 

Dès que les algorithmes permettront de limiter les risques juridiques tout en faisant gagner du temps et de l’efficacité aux équipes, ils seront adoptés. 

Y a-t-il, parmi les lecteurs de cette newsletter, des early adopters des algos ? Je serais ravi d’entendre vos retours d’expérience. 

Pour continuer la conversation

Une sélection de contenus pour nourrir la réflexion. N’hésitez pas à m’envoyer les articles qui vous ont semblé intéressants ! 

Evénement: La directive européenne sur la transparence des rémunérations: quelles obligations à venir?
Leslie Nicolaï, avocate en droit social et associée partenaire du cabinet FactoRHy, et moi-même avons passé beaucoup de temps dernièrement à anticiper la transposition de la directive européenne en droit français. Qu’est ce que la legislation locale ou les arrêts passés de la cour de cassation peuvent nous indiquer sur les échéances à venir ? On vous présente nos prédictions le 8 Février prochain ! 

AI and pay equity: Positives and pitfalls for employers to consider - Keith A. Markel, Jessica L. Lipson and Alana Mildner Smolow - Reuters (En anglais)

Un article intéressant, pertinent et complet autour de l’utilisation de l’IA à l’âge de la transparence : présente les opportunités et les risques de ces nouveaux outils en termes légaux ou de protection des données. 

Bringing AI in pay decisions  - Joanne Sammer - SHRM (En anglais)

Un article qui revient sur l’usage que fait IBM de l’IA pour informer ses décisions RH : les algorithmes font des suggestions de rémunérations ou d’augmentation mais le dernier mot revient aux managers. Pourtant, ils ne sont que 5% à  modifier les suggestions de l’algorithme.

Indiquer le salaire dans les offres d'emploi : bonne ou mauvaise idée ? - Florence Boulanger - Maddyness

Merci à Maddyness de m’avoir interviewé aux côtés d’Alexandre Collignon sur la nécessité pour les employeurs d’anticiper l’évolution de la loi en affichant les fourchettes salariales dans leurs offres d’emploi. 

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