Les études se suivent et se ressemblent : notre temps d’attention est de plus en plus court. Il est passé de 12 à 8 secondes depuis l’an 2000 (étude Samsung). Alors, comment contrer ce “syndrome de déconcentration” propre à notre “civilisation du poisson rouge” pour reprendre le titre de l’essai de Bruno Patino, le Directeur d’Arte ? Comment parvenir à engager pleinement les apprenants pour mieux les former ?
Le constat est implacable : oui, notre temps d’attention a considérablement diminué au cours des dernières décennies. Pas que nous soyons foncièrement plus idiots, mais avant tout parce que sommes exposés à une multitude de sollicitations parfaitement ficelées, à commencer par les réseaux sociaux. Autant de contenus qui entrent en compétition les uns avec les autres. “Les plateformes que nous utilisons sont extrêmement engageantes et interactives. Alors oui, biologiquement, notre temps d’attention est réduit, mais c’est surtout qu’en tant que formateur, on ne peut plus se permettre d’être ennuyeux”, introduit Son Ly, CEO et cofondateur de Didask, une plateforme d’e-learning permettant aux entreprises de créer leurs propres modules de formation en interne.
Éviter la fatigue de l’apprentissage
Bien entendu, il ne s’agit pas d’éluder les troubles de l’attention chez les enfants qui s’avèrent de plus en plus fréquents à cause de leur exposition aux écrans. “Mais on voit que même des adultes qui n’ont pas connu la même enfance sont aussi susceptibles de décrocher très rapidement”, explique-t-il. La faute à l’infobésité assurément qui nous met en situation de surcharge cognitive en dévorant notre mémoire à court terme.
“En revanche, aucune étude ne démontre que ce déficit d’attention chez l’adulte est acquis sur la durée. Quand un individu est pleinement concentré sur une tâche, il peut utiliser toutes ses capacités”, analyse Alice Latimier, Docteur en psychologie cognitive et consultante scientifique pour Cog’X.
Pour mieux former les individus, tout l’enjeu va donc être de protéger les ressources cognitives de chacun pour éviter toute forme de surcharge, y compris provoquée par la “fatigue de l’apprentissage”. C’est d’autant plus central que lorsqu’il est exposé à de la nouveauté, le cerveau va nécessairement saturer plus rapidement. “On sait qu’un trop grand niveau de complexité est très mauvais pour l’attention”, poursuit Alice Latimier.
Les 4 erreurs les plus communes en matière de formation
Même si nous sommes tous bien conscients de la volatilité de notre cerveau et de sa propension très actuelle à papillonner, reste que dans le monde de la formation, des erreurs encore très basiques continuent à se produire. Florilège :
1. Proposer des formations très descendantes
Les contenus sont souvent prodigués par des experts qui maîtrisent parfaitement leur sujet, mais ont tendance à livrer des prestations très descendantes, avec un faible niveau d’interaction. Le risque aussi est qu’ils souhaitent partager au maximum leur savoir. Résultat : le cerveau ne peut pas bien encoder ce nouveau savoir.
2. Oublier la mise en pratique
Pour Son Ly, passer une heure de formation sans aborder la pratique, c’est déjà trop : “Cela peut créer un biais d’illusion de maîtrise, alors qu’en réalité, il ne faudrait pas passer à l’étape suivante car elle n’a pas bien été ingérée”. Contrairement aux enfants, les adultes ont déjà des schémas mentaux auxquels ils vont raccrocher leurs connaissances, d'où l'importance de ne pas rester uniquement dans la théorie.
3. Ne pas prendre en considération notre chronobiologie
Par soucis d’organisation, beaucoup de formations se déroulent sur trois journées pleines, en continu. Pourtant, le cerveau retient bien mieux les informations lorsqu’il jouit d’un temps de récupération grâce au sommeil.
4. Oublier les REX à froid
“Faire le point sur ce que l’on a retenu, les connaissances que l’on a mobilisées après la formation, le tout en pratiquant le co-développement, est encore quelque chose qui n’est pas assez pratiqué”, regrette Alice Latimier. Pourtant, c’est en répétant et en mettant en œuvre ce que l’on a appris que l’on peut pleinement profiter d’une formation.
Quelles alternatives pour mieux former dans un contexte de baisse d'attention ?
Il faut finalement en revenir à des basiques, et répondre aux problématiques énoncées ci-dessus.
Couper toute forme de sollicitation extérieure
Dans un monde rêvé, l’apprenant doit venir sans son téléphone et son ordinateur. “Dans la vraie vie, je promets aux apprenants qu’ils auront droit à deux vraies pauses pour pouvoir consulter leurs mails si cela les stresse”, recommande Alice Latimier.
Organiser la journée de façon stratégique
Si la formation ne peut qu’être organisée sur une journée, on prend garde aux pics traditionnels de baisse de la vigilance, comme entre 14 et 15H. On évite d’introduire de nouveaux concepts sur ce créneau et on mise au maximum sur des phases ludiques et interactives.
Incrémenter la formation dans la vraie vie
Pour que le contenu soit attractif, il faut absolument qu’il réponde à des problématiques que rencontrent les apprenants au quotidien. “Il faut absolument éviter les contenus génériques”, recommande Alice Latimier. Les cas pratiques doivent reprendre les vocables de l’entreprise, et le formateur doit a minima recueillir les attentes des apprenants en début de formation. “Répondre à ce besoin permet de solliciter une motivation intrinsèque, déclenchée par le sentiment de besoin ou de désir de faire telle ou telle chose. Cela crée du sens et de l’utilité”, recommande Son Ly.
Établir des paliers à franchir
Pour mieux capter l’attention de l’auditoire, on peut s’inspirer des meilleurs game designers. Dans la bible “A theory of fun”, Ralph Koster explique que l’attrait pour les jeux ne tient pas tant aux “paillettes” mais au sentiment d’achèvement des joueurs qui passent différents stades. Point important : ils paraissent toujours atteignables. En revanche, quand ils n’apprennent plus rien, ils se désintéressent du jeu. “La formation doit permettre d’atteindre des petits paliers qui activent le circuit de la récompense via la production de dopamine. C’est important pour conserver la motivation sur la durée”, précise le fondateur de Didask. De même, le système des badges et des certifications ne doit pas récompenser un comportement inactif, mais bel et bien la réussite d’un apprentissage validé par une mise en pratique.
“C’est par l’échec et le feedback qu’on apprend véritablement. Ces feedbacks doivent être menés avant le passage à une nouvelle étape”, renchérit Son Ly.
Faire repartir les apprenants avec des CTA
Outre le besoin d’établir un REX à froid à distance de la formation, il est nécessaire que les apprenants repartent avec des exercices de mise en pratique dans le réel. Le but ? Connecter directement leurs apprentissages à leur quotidien professionnel. C’est encore la meilleure façon de permettre au cerveau de bien enregistrer les connaissances.
Miser sur la complémentarité
Durant les sessions de formation, il est important non seulement d’associer le verbal au visuel, “car le cerveau retient en se faisant une représentation verbale et picturale des informations”, précise Son Ly, mais aussi d’utiliser tout l’arsenal de formats que l’on peut déployer en formation. “L’important, c’est la complémentarité, et surtout de se questionner en profondeur sur la manière dont on apprend. Dans certains cas par exemple, le gaming sera pertinent, mais pas toujours”, recommande Alice Latimier. Pour conclure, elle invite les responsables de formation à s’intéresser de plus près aux neuromythes dont nous sommes tous victimes, afin de mieux gagner en efficacité !