Durant ma carrière de responsable comp & ben, l’équité a toujours été ma valeur phare.
J’ai eu à cœur de proposer aux collaborateurs les rémunérations les plus justes possibles. Et selon les situations, c’était plus ou moins évident : en tant que jeune RH, on n’a pas toujours la marge de manœuvre nécessaire.
Mais quelquefois, on y arrive : on obtient pour un collaborateur un package ou une augmentation qui le place au-dessus du marché. Lorsqu’on l’annonce, on s’attend à une réaction très positive, si ce n’est des remerciements…
Et on est surpris de constater que le collaborateur, qui aurait toutes les raisons de se réjouir, est toujours insatisfait…
Lorsqu’on débute et qu’on est encore un peu naïf, on risque de tomber de haut en découvrant cette réalité : même les rémunérations les plus avantageuses, même les politiques les plus équitables, ne garantissent pas la satisfaction.
Je me souviens en particulier d’un collaborateur qui était payé bien au-dessus du marché pour son rôle mais qui se plaignait sans cesse de sa rémunération. J’ai fini par découvrir qu’il était mécontent de gagner moins bien sa vie que sa femme…
C’est alors que j’ai compris que je me battais contre des moulins-à-vent : je n’avais aucun contrôle sur les dynamiques de ce couple, ni sur les perceptions sociétales genrées selon lesquelles un homme doit être mieux payé que sa femme…
Récemment, je suis tombée sur une étude passionnante qui m’a rappelé que ce cas de figure n’est pas simplement anecdotique…
Et qu’une politique salariale vraiment équitable ne garantit pas la satisfaction de tous les collaborateurs.
Le problème de la perception
Près de la moitié des salariés payés au-dessus du marché pensent être payés au-dessous du marché. Seuls 9% ont conscience d’être payés au-dessus du marché.
En ce qui concerne ceux rémunérés au niveau du marché, ils sont seulement 32% à le savoir. 63% d’entre eux pensent être payés au-dessus du marché. En fait, on a systématiquement tendance à sous-estimer sa rémunération par rapport à la moyenne.
C’est la conclusion du Fair Impact Report 2025 de Payscale.
Pire : ces chiffres auraient empiré depuis 2021. Il y a 4 ans, 49% de ceux qui estimaient être payés en-dessous du marché l’étaient vraiment, contre 32% aujourd’hui.
Les conditions économiques sont pourtant plus favorables aujourd’hui : depuis 2023, les salaires augmentent plus rapidement que l’inflation.
Le rapport ne propose pas vraiment d’explication à cette erreur de perception, mais souligne ses conséquences néfastes sur l’engagement des collaborateurs : lorsqu’ils ne pensent pas être payés équitablement, ils ont plus tendance à vouloir changer de poste et d’entreprise.
En vérité, la perception de son salaire est un mécanisme complexe, qui nécessite de se comparer aux autres, avec des informations plus ou moins fondées, des impressions confuses et des critères aléatoires.
Je me souviens par exemple d’une salariée qui se comparait à ses anciens camarades de promotion, et qui était déçue d’être beaucoup moins payée qu’eux…
Sauf qu’elle travaillait dans une startup et eux, dans des grands groupes ou des boîtes de conseil. Elle appréciait beaucoup la vie de startup… jusqu’à ce que ses ex-camarades se mettent à parler argent.
Je pense à un autre collaborateur, qui était persuadé de travailler plus et mieux que ses collègues, et qui voulait donc être payé au haut de la fourchette de son métier, alors que ce n’était pas le cas. La perception que l’on a de soi est rarement objective.
S’entêter à satisfaire leurs attentes dans ces circonstances aurait été contre-productif.
La course à la satisfaction est-elle perdue d’avance ?
Même si vous êtes l’employeur le plus équitable du monde, ce sont le genre de défis contre lesquels vous ne pourrez rien :
Gérer les perceptions plus ou moins rationnelles de vos équipes.
D’autant plus qu’il n’existe pas de définition universelle de l’équité. En témoignent les nombreux dilemmes éthiques que nous, comp & ben, devons nous poser au quotidien. Par exemple : la localisation géographique doit-elle entrer en ligne de compte dans la rémunération ?
L’équité n’est jamais acquise, elle est un domaine de recherche perpétuelle : notre job, en tant que comp & ben, est de définir la version de l’équité que nous voulons pour notre entreprise, et de déterminer les critères qui importent pour nous, en cohérence avec les valeurs de l’entreprise.
Évidemment, les collaborateurs ne peuvent pas tous voir les choses du même œil.
Par exemple, pour un poste de valeur égale, deux collègues peuvent être payés différemment, pour des raisons d’expérience ou de performance… des critères qu’on peut contester. Une entreprise peut choisir de donner plus d’importance à l’expérience, l’autre aux diplômes. Un débat sans fin, surtout si on confond égalité et équité : ce n’est pas parce que tout le monde n’est pas payé pareil que la grille salariale n’est pas équitable.
Il faut donc faire attention aux indicateurs de succès que l’on se fixe lorsqu’on construit sa politique salariale : si on se propose de satisfaire tout le monde, on s’expose à un échec quasi-certain.
Parce qu’on ne pourra jamais maîtriser le côté émotionnel.
Clarifier les règles du jeu
Une stratégie plus efficace serait donc de privilégier l’aspect rationnel.
Plutôt que de satisfaire tout le monde, on fait en sorte que tout le monde comprenne le pourquoi de sa rémunération.
Là, la transparence peut faire beaucoup. Et je ne parle pas forcément de la transparence des salaires, mais au moins d’une transparence par rapport à la procédure de fixation des salaires.
Lorsque les règles du jeu sont claires, on peut contrer certains effets de l’insatisfaction salariale.
C’est le rapport de Payscale qui le montre : plus les entreprises sont transparentes, moins les collaborateurs ont l’intention de les quitter. Les salariés qui travaillent pour des entreprises très opaques sont à 142% plus enclins à chercher du travail ailleurs, alors que ceux qui travaillent pour des entreprises très transparentes sont plus enclins à 60% à y rester.
L’objectif change : plutôt que de chercher la satisfaction à tout prix, on met l’accent sur l’équité de la procédure de détermination des salaires en se montrant le plus transparent possible.
Le travail des comp & ben se concentrerait moins sur les chiffres, et plus sur la gestion du changement et la communication. On explique l’équité de la politique salariale d’entreprise sur trois niveaux différents :
- Comment on se positionne par rapport au marché
- Comment chacun se positionne par rapport à la politique salariale de l’entreprise.
- Comment chacun se situe par rapport à ses collègues qui occupent des postes de valeur égale.
En se concentrant sur l’équité de la procédure, on déplace la conversation du périmètre individuel vers un périmètre plus global, en disant :
« Voilà les règles du jeu, voilà comment ça fonctionne, et une fois que c’est bien compris, on parle du cas individuel. »
C’est seulement en partant du général pour arriver au particulier qu’on peut se débarrasser des biais psychologiques ou sociétaux.
Et, paradoxalement, c’est là que l’on peut parvenir à résoudre l’épineuse question de la satisfaction.
Alors qu’on a longtemps cru que la transparence ferait des salariés plus insatisfaits en raison du principe de la double démotivation, on découvre au contraire que la transparence augmente la satisfaction en mettant sous les yeux des collaborateurs des standards réalistes auxquels se comparer.
Selon une étude récente, les salariés développent forcément des croyances quant à la rémunération de leurs collègues. Pour ce faire, ils se basent sur des rumeurs parfois infondées, ou des signaux de richesse extérieure. Ils se basent aussi sur des données publiques erronées, comme celles qu’ils trouvent sur internet. Ces spéculations ont pour effet de les rendre plus insatisfaits.
Lorsqu’ils connaissent les vrais chiffres, au contraire (dans le cas de cette étude, le salaire médian et celui du CEO), leur satisfaction augmente.
Une autre étude, publiée en août dernier par Cambridge University Press et intitulée « Why do you pay me this way ? » (ou « Pourquoi vous me payez comme ça ? ») montre que la compréhension des intentions dans la fixation des salaires peut augmenter la satisfaction des salariés, si ces intentions sont perçues comme étant en faveur des employés.
Certes, satisfaire tous ses collaborateurs est un rêve inatteignable que les RH auraient tort de poursuivre. Mais la pédagogie et la transparence peuvent faire beaucoup pour augmenter l'équité perçue et donc l’engagement.
Je serais ravi d’en discuter si vous avez des opinions sur la question !
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