Compversation #15 - Encore un dilemme…

9/9/2024
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Sommaire

Une partie de notre travail de comp & ben revient parfois à résoudre des dilemmes éthiques. Mais contrairement aux philosophes qui se confrontent à des expériences de pensées abstraites (et plutôt improbables)… 

(Du genre, est-ce que cela vaut la peine de tuer une personne pour en sauver cinq, comme dans le fameux dilemme du tramway)

On fait face à des situations concrètes et on sait que nos décisions auront des retombées directes sur nos collaborateurs. On ne peut pas non plus se permettre de chercher la solution la plus « juste » à nos dilemmes, sans réfléchir aux conséquences pratiques. Car nous restons tenus à des exigences d’efficacité.  

Nos décisions, en plus d’être justes, doivent permettre à nos entreprises de construire leur vivier de talent de manière rentable.  

Du coup, j’aime bien vous proposer, de temps en temps, des mises en situation et autres études de cas. (Souvent inspirées de problèmes que j’ai rencontrés dans ma vie pro). 

C’est super intéressant de voir ces conversations se créer et de savoir s’il y a un consensus qui se dégage parmi nous.  

Le dilemme du salarié inventeur 

De nombreuses boîtes comptent sur l’innovation pour rester performantes… 

Et comme j’ai un penchant pour les boîtes tech ou industrielles avec une forte culture « ingé » je me suis souvent retrouvé dans ces boîtes-là. 

Évidemment, les inventions faites par les salariés dans le cadre de leurs missions appartiennent à l’employeur surtout lorsqu’ils ont été recrutés pour faire de la R&D. Il est « juste », pourtant, que ceux-ci soient récompensés lorsqu’un brevet est déposé ou délivré pour une invention à laquelle ils ont participé. Il est aussi « efficace » de mettre en place un système qui récompense l’innovation pour inciter les collaborateurs à la recherche et à la création. 

Enfin, il s’agit aussi d’une obligation juridique : cette rétribution financière est inscrite dans la loi depuis 1990. Alignement total des arguments éthique, pratique et juridique : une fois n’est pas coutume, la mise en place de ces politiques de rétribution va de soi. 

Seulement voilà, la mise en place de ces programmes est parfois compliquée. Et pour cause : la loi ne nous renseigne pas sur le montant de cette rétribution ni sur les manières de la calculer.

« Les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d'une invention appartenant à l'employeur, bénéficie d'une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d'entreprise et les contrats individuels de travail. » (art. L. 611-7-1 du CPI).

En vérité, les conventions collectives restent souvent assez vagues, à part quelques mises au point récentes comme cela a été le cas pour la métallurgie depuis janvier 2024.

Quel montant pour récompenser une invention qui aurait le potentiel d'apporter des millions de CA à l’entreprise ? Comment évaluer l’apport individuel d’un collaborateur par rapport aux moyens et à l’environnement mis à sa disposition par l’entreprise ? 

C’est ce genre de questions auxquelles nous, les comp & ben, devons répondre. Un rapport de l’INPI (qui date de 2016) fait état de politiques hétérogènes mises en place par les entreprises pour rémunérer les inventeurs…

Que ce soit sur les modalités (primes, rémunération variable liée à l'exploitation, ou un mélange des deux), ou sur les montants, extrêmement variables.

De New York à New Delhi, les inventions n’ont pas le même prix ?  

Un de mes premiers casse-tête de jeune professionnel tourne autour de la prime brevet dans un grand groupe  disposant de filiales internationales. Comme moi, 56,5% des répondants à l’étude de l’INPI trouvent difficile l’harmonisation du système en place dans l’entreprise avec d’autres entités ou pays.

Et pour cause : une prime forfaitaire de 2 000 € ne pèse pas de la même manière sur les revenus d’un ingénieur employé en France pour un salaire de 80 000 €, de son homologue aux États-Unis qui gagnerait le double et un autre en Inde qui gagnerait la moitié. Si la somme de 2 000 € est suffisamment efficace pour inciter les Français à l’innovation, elle n’aura pas le même effet sur les Américains. 

À contrario, elle pourrait être trop incitative pour les Indiens, qui consacreraient tout leur temps de travail aux projets susceptibles de leur rapporter des brevets. 

Une solution pourrait être de mettre en place des primes proportionnelles au salaire pour qu’elles soient toujours motivantes. Mais ça voudrait dire qu’une même invention réalisée à New York ou à New Delhi ne serait pas récompensée de la même manière ? 

Ce serait efficace, certes, mais pas vraiment « juste ». Quelle est donc la meilleure solution ?

Je n’ai pas de réponse concrète à la question. D'ailleurs, aucun consensus ne se dégage clairement sur le marché : seulement 21% des entreprises appliquent le dispositif à toutes les entités, alors que le reste localise le dispositif intégralement ou partiellement.

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La boîte de Pandore des inégalités géographiques ? 

Pourquoi est-ce qu’il ne serait pas « juste » de payer une même invention 2000 € en France mais 150 € en Inde… Alors qu’il serait « juste » de payer un ingénieur 150k € à San Francisco mais 25k € pour le même travail en Inde ? 

C’est ce qu’on pourrait me rétorquer et la réponse est… que je ne sais pas vraiment. 

(Ceci dit, en passant, la question ne se limite pas au monde de l’entreprise - pour rester dans l’actualité : même une médaille olympique ne vaut pas le même pactole aux athlètes, que ceux-ci viennent des Etats-Unis ou de Hong Kong…) 

Il me semble que parce que le salaire prend en compte la valeur du marché et le coût de la vie locale, les inégalités entre pays sont plus acceptables. Alors qu’elles deviennent plus problématiques lorsqu’on parle de la même invention rétribuée différemment. 

Parce que l’invention elle-même n’est pas relative à un marché donné ou à un profil donné. Spontanément, je trouve que c’est différent. Mais c’est peut-être juste une illusion. 

Peut-être qu’en y réfléchissant, on pourrait se rendre compte que les inégalités de salaires d’un pays à l’autre n’ont pas lieu d’être, surtout sur un marché de plus en plus globalisé et dématérialisé ?

Que les personnes effectuant le même travail méritent d’être rémunérées de manière égale, quelle que soit leur localisation dans le monde ?

Reste la question de l’application concrète de cette conclusion sur le marché du travail. 

Mais aussi (et surtout !) sur les finances des entreprises : 

Pour harmoniser les salaires au niveau mondial, il serait impossible de faire du nivellement par le bas… (Courage aux entreprises qui tenteront d'embaucher des ingénieurs américains avec des salaires indiens). 

La seule solution viable est de s’aligner sur les salaires les plus élevés. Quelles entreprises seront alors vraiment prêtes à faire passer les salaires de tous leurs employés du monde entier au niveau américain au nom de « l'équité » ?

Il existe néanmoins un sujet qui émerge actuellement, sur lequel les entreprises peuvent se permettre d’être un peu plus « équitables » sans avoir à casser la tirelire (en gardant une forme d’efficacité).

Mis en lumière par la directive européenne CSRD (qui tracasse pas mal d’entre vous, je le sais !), le concept de « salaire décent » gagne en popularité. Alors que beaucoup d’entreprises étudient le sujet, Michelin à récemment annoncé son engagement à payer à ses employés, partout dans le monde, des salaires leur permettant de vivre dignement, indépendamment des exigences légales. 

On en reparlera dans une prochaine édition, car le sujet est extrêmement riche.

D’ici là, si vous aussi vous voulez m’exposer vos dilemmes d’arbitrage de rémunération entre « l’équité » et « l’efficacité » je suis à votre écoute !

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Pour continuer la conversation

Une sélection de contenus pour nourrir la réflexion. N’hésitez pas à m’envoyer les articles qui vous ont semblé intéressants ! 

La rémunération des inventions de salariés (2016)  - INPI

Si vous êtes intéressés par la question des primes brevet ou que vous faites face à ce dilemme dans votre vie professionnelle, je ne peux que vous encourager à lire ce rapport de l’INPI. Instructif et utile, bien que datant de 2016. 

Salaire décent : la politique salariale la plus « juste » ? - Laetitia Vitaud - Welcome To The Jungle 

Une réflexion passionnante de Laetitia Vitaud. Elle examine le cas des entreprises allant au-delà du salaire minimal pour assurer à leurs collaborateurs un niveau de vie décent. 

Salary transparency gains steam in Asia as young people share their salaries online - Ernestine Siu - CNBC (En anglais)

Entre les législations américaines qui font bouger les lignes depuis 2020 et la fameuse directive européenne, la transparence est-elle devenue un mouvement international ? Si la tendance en Asie était encore à l’opacité, la nouvelle génération change les choses en discutant ouvertement de sa rémunération sur internet. 

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