Compversation #17 - Passer des valeurs aux chiffres

16/12/2024
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Le temps de la transparence sera aussi celui de la cohérence. Je ne parle pas seulement de la cohérence dans les niveaux de rémunération.

Il faudra aussi que les paroles et les actes soient alignés. Si la politique de rémunération d’une entreprise est trop contradictoire aux valeurs qu’elle professe, elle s’expose au mécontentement des collaborateurs et des candidats. 

Je dis toujours que la nouvelle étoile polaire des comp & ben doit être la suivante : toute décision de rémunération doit pouvoir être expliquée et justifiée. Mais qu’est-ce qui peut justifier une décision de rem ? On ne peut pas se contenter d’un « parce que le marché nous l’a dicté ». Une politique de rémunération inattaquable s’élabore à partir de valeurs claires et bien définies. 


Libre à chacun d’être d’accord ou pas, d’adhérer ou pas, mais on ne pourra jamais vous reprocher de payer à partir de vos valeurs. Voilà pour la théorie. Mais en pratique, ça donne quoi ? 

C’est séduisant de réfléchir à la stratégie de compensation comme un système cohérent, émanant de valeurs, mais vous voyez peut-être mal comment « esprit d’équipe », «innovation » ou « ambition » se traduisent en politique salariale. 

Heureusement, les entreprises best-in-class en la matière sont en train de rendre public leur système de rémunération (dans le détail). Ça nous permet d’observer, très concrètement, comment on passe d’un système de valeur à des méthodes actionnables pour se positionner, faire une offre ou une revue salariale. 

Voici 2 exemples que j’ai trouvés particulièrement convaincants sur les sujets : Revolut et Danone.  

Dans les dernières semaines, elles ont toutes les deux communiqué autour de leurs stratégies de rémunération. Voilà ce qu’on peut en apprendre. 

Revolut : une entreprise centrée sur l’excellence 

« Une organisation à haute performance est centrée sur les A-players (les 15 % à 25 % des collaborateurs les plus performants), et concentre ses ressources sur la rétention et la promotion des meilleurs talents tout en se séparant le plus rapidement possible des employés sous-performants. »

C’est sur cette déclaration d’intention que s’ouvre le playbook (sorte de de livret interne) récemment publié par Revolut : l’entreprise y expose ses méthodes pour accroître la performance des équipes. La croyance fondamentale de Revolut est la suivante : la réussite de l’entreprise dépend d’une poignée de collaborateurs aux résultats exceptionnels - pas plus de 25% des effectifs. 


Dès lors, toute la stratégie de talent management de la boîte repose sur l’identification et la récompense de ces top talents, ou A-players. 

Je vous conseille fortement la lecture du playbook, notamment parce qu’il détaille le processus de revue de performance servant à reconnaître ces A-players. Il y a peu de place à l’aléatoire ou à l’appréciation discrétionnaire (et donc potentiellement injuste) : les critères sont clairs, et les mêmes pour tous. 

En termes de comp & ben (c’est ce qui nous intéresse ici), les valeurs de Revolut se traduisent par des politiques actionnables : 

  • Les augmentations au mérite ne sont attribuées qu’aux A-players, qu’ils soient promus ou non. Aucune augmentation générale au programme. Les autres ne sont concernés que par les ajustements marché.

  • Le levier des bonus est central, alors même que le marché aurait tendance à s’en éloigner.
    On peut considérer les bonus comme la porte ouverte au discrétionnaire, et difficilement justifiables à l’ère de la transparence. Ce n’est pas le cas de Revolut, qui calcule très précisément leurs accélérateurs en fonction de la performance de l’entreprise mais surtout celle individuelle.  Ce qui mène à des bonus parfois 3 à 5 fois supérieurs pour les meilleurs éléments !

Preuve s’il en est qu’on peut continuer à distinguer (et à retenir) les meilleurs talents, de manière objective (autant que possible) et transparence, plutôt qu’opaque et discrétionnaire. On a souvent évoqué le risque que la transparence mène à un tassement vers le milieu, ou à du saupoudrage

L’initiative de Revolut prouve le contraire : elle aborde la transparence avec sérénité, car elle a mis en place un système permettant d'identifier les A-players de la manière la plus objective possible. Cela pourrait même rendre ce genre d’entreprises plus attirantes pour un certain type de candidats, très motivés par la reconnaissance individuelle. 

Qu’on soit d’accord ou pas avec les valeurs de Revolut (elles sont assez éloignées des miennes), on ne peut qu’admirer leur cohérence et leur clarté.

Danone : une entreprise centrée sur l’humain

On associe à tort les pratiques innovantes et transparentes en termes de comp & ben aux jeunes startup. C’est faux : une des plus belles leçons de transparence récente nous vient d’un groupe du CAC40. 

J’ai récemment eu le plaisir de co-animer un webinar(disponible en replay) avec Margot Mugnier, Manager rémunération et performance chez Danone. J’en profite pour remercier Margot et Robin Monet pour leur partage d’expérience et leur transparence, j’ai rarement eu autant de retours élogieux sur ce que l’on a couvert lors de ce webinar !

Margot y détaille les méthodes suivies par son équipe lors de l’embauche et pendant les revues de salaire, pour y garantir une équité maximale. Aussi, on a beaucoup discuté les efforts de communication et formation mis en oeuvre en interne. Je ne m’intéresserai ici qu’aux manières dont les valeurs de Danone se traduisent en politiques salariales concrètes. 

Danone le professe sur site corporate : c’est une entreprise « centrée sur les personnes ». Les relations fortes et proches sont la clé de voûte du système Danone : les construire et les maintenir, une priorité. D’un point de vue talent management, cela se traduit par l’importance accordée à la rétention des talents : l’objectif est de permettre aux « Danoners » de mener des carrières longues, riches et diverses au sein du groupe. 

Dès lors, le système de rémunération vise à récompenser la loyauté et à encourager la mobilité interne.

L’entreprise a fait des choix forts, qui peuvent être surprenants, mais qui ont pour objectif de renforcer la cohérence interne et à faciliter le passage des collaborateurs d’un poste à un autre.  

  • Pas de spécificité selon le métier et la localisation géographique (en France) : tous les métiers « cadre » de Danone sont classifiés selon des grades - la référence de rémunération pour chacun est déterminée en fonction de ce grade-là. En clair : qu’on soit ingénieur à Paris ou RH à Brives, on a le même point de référence, pour peu qu’on appartienne au même grade. 

  • La mobilité interne est récompensée, même pour des changements horizontaux. Comment retenir ses talents sur un marché où la meilleure façon d’obtenir une augmentation, c’est de changer d’entreprise ? On s’assure que chaque changement de poste interne soit récompensé, même lorsqu’il ne s’agit pas d’une promotion mais “simplement” d’une mobilité latérale. C’est peut-être une solution à l’hypermobilité des jeunes générations : selon une enquête Ipsos relayée par les Echos, près de huit jeunes sur dix (79 %) considèrent qu'il est « indispensable » de changer régulièrement d'entreprise pour avoir un meilleur salaire.

  • C’est la même équipe qui centralise toutes les propositions salariales : l’équipe de Margot s’assure de la cohérence des offres et des revues salariales. Cette centralisation a pour objectif de maximiser l’équité et elle sert indirectement la mobilité interne, car il devient de passer d’un service à l’autre. 

Ce que la loi ne dira pas 

À première vue, les exemples de Revolut et de Danone peuvent sembler opposés. Les deux entreprises ont des valeurs et des visions du monde divergentes. Elles ont pourtant en commun d’avoir des politiques salariales alignées avec leurs croyances fortes. Cela les rend plus aptes que d’autres à passer le test des lois de la transparence à venir. 

La nouvelle loi, en France, n’a pas encore été écrite : nos législateurs ont jusqu’en 2026 pour le faire. Mais si elle respecte l’esprit de la directive européenne, la loi imposera aux entreprises de prendre des décisions de rémunérations objectivement mesurables et justifiables. Des décisions qui peuvent être défendues dans un tribunal. Elle ne dictera pas ces décisions ni les critères qui y mènent. Elle ne conduira pas vers l’homogénéité : les entreprises devront être cohérentes par rapport à elles-mêmes. 

C’est même le contraire : les entreprises aux politiques clivantes sauront tirer leur épingle du jeu. Une culture affirmée qui fait fuir certains candidats aura l’avantage d’attirer ceux alignés avec les valeurs de l’entreprise. Alors que des mots génériques et consensuels ne pourront pas se distinguer aux yeux des candidats. 

En ce moment, rien ne me réjouit autant que de voir des entreprises qui ont le courage de leurs convictions : afficher publiquement leurs choix de rémunération, même clivants. Si vous avez d’autres exemples, je suis preneur. 

Et si vous voulez parler des manières concrètes dont les valeurs de votre entreprise peuvent se transformer en politiques salariales, ma boîte mail est toujours ouverte. 

Pour continuer la conversation

Une sélection de contenus pour nourrir la réflexion. N’hésitez pas à m’envoyer les articles qui vous ont semblé intéressants ! 

Transparence salariale, réactivité… Ce qu'attendent les jeunes des recruteurs - Chloé Marriault - Les Échos

Plus de 5 800 étudiants et jeunes actifs ont répondu à une enquête menée par l'Edhec NewGen Talent Centre, le Gen Z Lab de Jobteaser et Kantar. Le but ? Révéler les attentes des jeunes par rapport au recrutement. Sans surprise, la transparence et la clarté sont les premières préoccupations des nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi : au niveau de la rémunération, mais aussi des missions et du processus de recrutement. 

Compensation Summit - Figures  

Vous l’avez peut-être manqué, mais on a eu une idée folle chez Figures: une journée de webinars dédiés à la rémunération, le 10 Octobre dernier. Peut-être pas si folle que ça, puisque un millier de personnes se sont inscrites pour y assister ! Le tout est disponible en replay, pour votre plus grand bonheur ?

Les salariés français en faveur de la transparence des salaires - Gaëlle Ménage - Forbes  

Une autre étude, réalisée par Deel et l’IFOP, révèle que les Français (toutes générations confondues, cette fois) sont de plus en plus à l’aise pour discuter ouvertement de leurs salaires, même si les moins de 35 ans sont globalement plus favorables à la transparence

Pourquoi on paye ? Le monde de la rémunération à la recherche d’une ligne éthique - Virgile Raingeard - Welcome To The Jungle

Je suis honoré de rejoindre le cercle des experts Welcome To The Jungle, encore plus de pouvoir m’exprimer sur un sujet qui me passionne : la nouvelle ligne éthique que recherchent les entreprises à l’ère de la transparence des rémunérations. Et le casse tête que cela peut représenter (pour beaucoup d’entre vous !)

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