Compversation #19 - L’entretien annuel est mort ?

16/12/2024
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Vive l’entretien annuel !

C’est le plus beau moment de l’année… La saison des entretiens annuels !

Et c’est pour ça que j’ai décidé de leur consacrer le premier numéro de cette mini-séries de newsletters autour de la transparence dans les RH. 

Bon, c’est aussi parce que le projecteur de la transparence, qui se braque aujourd’hui sur la rémunération (directive européenne oblige) glisse de plus en plus vers les entretiens annuels et les scores de performance qui en découlent. 

Et c’est normal : la transparence se répand comme une tâche d’huile dans les processus RH. Impossible d’imaginer un système de rémunération transparent qui s’appuie sur des piliers opaques. Quels que soient les critères que choisit une entreprise pour justifier ses décisions salariales, il faut que leur équitabilité et leur objectivité puissent être prouvées. 

Et le critère le plus fréquemment invoqué est celui de la performance : on veut récompenser chacun en fonction de son impact. Comment quantifier l’impact des collaborateurs ? Dans la plupart des cas, ça passe par les entretiens annuels. 

Sauf que voilà : il va falloir s’assurer que ce processus soit le plus solide, objectif et équitable possible. Et c’est loin d’être toujours le cas… 

Et si on supprimait le problème ? 

Durant ma carrière d’RH, j’ai entretenu une relation d’amour-haine avec les entretiens annuels. C’est le moment où l’on a le plus d’impact sur le business dans son ensemble. Mais c’est aussi le moment de l’année où notre charge de travail atteint des niveaux stratosphériques. Et quand on sait que le burnout menace notre profession, c’est loin d’être anodin. 

  Il y a près d’une décennie, les entretiens annuels avaient amassé une si mauvaise réputation que certaines entreprises préféraient s’en débarrasser. Et pas des moindres : Adobe fait partie des grandes multinationales qui ont cherché de nouveaux moyens de gérer la performance. 

C’était en 2012 et Donna Morris, Senior Vice President for Employee and Customer experience annonçait vouloir en finir avec cette usine à gaz : 80 000 heures annuelles étaient consacrées aux entretiens annuels, ce qui correspondait à 40 employés à temps plein. À la place ? Les check-ins : un système de feedback continu qui permet aux collaborateurs d’ajuster le tir en temps réel sans se laisser alourdir par un processus bureaucratique et codifié. 

Certes, je vois l’intérêt d’abolir un système de notation rigide, qui donne aux collaborateurs l’impression de revenir à l’école. Surtout lorsqu’il repose sur des distributions forcées où il "faut" toujours un certain nombre d’employés mal notés. Découragement et frustration sont inévitables. 

 Mais il faut bien un critère sur lequel s’appuyer pour décider des augmentations. Comment font les entreprises qui fonctionnent sans score ? 

Je vois surtout 2 cas de figure autour de moi, tous les deux incompatibles avec les exigences d’équité et d’objectivité de l’ère de la transparence :  

  • Cette décision est prise de manière discrétionnaire par le manager : la porte ouverte aux iniquités et aux biais inconscients. Et, à l’ère de la transparence, aux frustrations, ou pire, aux contentieux : la directive européenne consacre le droit à l’information des salariés. Les entreprises vont devoir se justifier de leurs décisions salariales passées. Que se passera-t-il lorsqu’elles ne pourront pas le faire par des critères objectifs ? Ce n’est pas pour rien que tous les avocats en droit social à qui je parle anticipent une explosion des recours en justice …

  • Les RH demandent aux managers de répondre à un questionnaire de notation déguisé pour évaluer tout de même les collaborateurs.
    Les questions du genre « de qui vous ne pourriez-vous pas vous passer ? », « qui a dépassé vos attentes ce trimestre ? » ou « si vous ne deviez choisir qu’un collaborateur de votre équipe, qui ce serait ?»  ne servent qu’à recréer un système de notation encore plus opaque.
    Que vont répondre ces entreprises demain, aux salariés, ou représentants du personnel, qui vont leur demander des comptes ? Vont-elles nier l’existence de ce processus caché, ou être forcées de le mettre à nu ?

Niveau transparence, on a vu mieux… 

Donner des notes sans fausse note ? 

Force est de constater qu’un système de notation est indispensable pour assurer une certaine objectivité dans les processus d’évaluation.

D’ailleurs, nous avons posé la question à celles et ceux qui ont participé à notre Compensation Summit : seulement 16% des répondants ont affirmé ne pas avoir recours à un système de score pour classer les collaborateurs. 


Alors certes, il faut un système de notation, mais lequel ? 

Historiquement, les entreprises ont commencé par répartir leurs collaborateurs sur trois niveaux : 

  • n’atteint pas les attentes. 
  • répond aux attentes, 
  • dépasse les attentes 

24% de nos répondants adoptent eux aussi un système de répartition tripartite.  

Pour encourager l’excellence, certaines entreprises ont ressenti le besoin de mieux distinguer leurs A-players. Elles ont donc introduit un niveau supplémentaire, consacré aux éléments les plus excellents (souvent 5% ou moins des effectifs). 22% de nos répondants s’appuient sur un système de notation à 4 niveaux tel que celui-ci. 

Enfin, la question des “under-performers” s’est posée. Les entreprises ont constaté que la majorité des managers rechignaient à classer leurs collaborateurs au niveau le plus bas, souvent synonyme d’un plan d’amélioration de performance, voire de sortie de l’entreprise, ou à minima, d’une absence d’augmentation. Alors, elles ont ajouté un niveau supplémentaire, “légèrement inférieur à la moyenne”. Une forme de sanction moins sévère, qui paraît donc plus accessible aux managers.


Aujourd’hui, la majorité des entreprises fonctionnent avec un système de notation à 5 niveaux : c’est le cas de 33% de nos répondants. C’est celui que je pense être le plus en vogue actuellement, et que je conseille le plus aux DRHs à qui je parle.

Mais quel que soit le système utilisé, il est crucial que les notes soient à la fois cohérentes entre équipes et alignées avec les performances globales de l’entreprise. À chaque manager son système de notation : certains donnent de bonnes notes à tout le monde pour booster la satisfaction de leurs équipes, alors que d’autres s'enorgueillissent de noter très sévèrement. 

Il arrive aussi qu’une équipe n’atteigne pas ses objectifs collectifs, mais que ses membres soient paradoxalement très bien notés individuellement.

Comment remettre de l’ordre dans tout ça ? 

Un système de distribution forcée peut être une solution. Mais il présente de nombreux inconvénients : il exacerbe l’esprit de compétition aux dépens de l’esprit d’équipe. 

Dans des cas extrêmes, les meilleurs éléments refusent de travailler ensemble, par peur d’une comparaison désavantageuse. 

Pour un processus d’évaluation optimisé 

Il y a un nombre incalculable de raisons qui peuvent expliquer un décalage de notation entre managers… des différences de personnalité aux divergences culturelles. 

J’en ai moi-même fait les frais en tant qu’RH dans une entreprise internationale. On avait eu comme responsabilité de mettre en place le premier process harmonisé de revue de la performance au niveau Groupe. On avait choisi l’échelle de notation à 4 niveaux, dont j’ai parlé plus haut. Jusque là tout va bien.

Nous avions fait le choix de nommer les différents niveaux de notation A, B, C et D. Cela nous paraissait simple à comprendre et à utiliser. A = Exceptionnel, B = Au-dessus des attentes, C = Aux attentes, D = En-dessous des attentes.

Or, ce que nous n’avions pas réalisé, entre RHs français travaillant au siège français d’une entreprise internationale, c’est que cette échelle rappelle celle de notation scolaire pour les pays anglo-saxons. Pour eux, un “C” équivaut à une très mauvaise note. Ce n’est pas du tout la même perception qu’en ont les francophones. Ils avaient donc plus de facilité à attribuer cette note, alors que les anglo-saxons se sont au maximum limités aux A ou B pour les collaborateurs dont ils n’étaient pas particulièrement insatisfaits. 

Mon expérience de ces décalages interculturels ne fait que souligner l’importance de l’étape de la calibration. Cette étape garantit que tous les managers soient sur la même longueur d’onde et qu’un "C" signifie la même chose pour tout le monde.

Lorsque je travaillais chez Criteo, on prenait très au sérieux ce processus - il faut dire que l’ADN très tech de la boite s’y prêtait bien. On a mis en place un système très développé et chronophage, mais qui suscitait un vrai sentiment d’équité et d’objectivité. 

On organisait des séances de calibration avec tous les managers où les résultats de tous les entretiens annuels étaient partagés pour qu’ils puissent être challengés. C’était, pour 800 salariés au total, plus d’une semaine passée, tous les semestres, en comités de calibration avec les managers. 

C’est une solution diamétralement opposée à celle d’Adobe. Le constat est le même : le processus d’évaluation est jugé insatisfaisant. Mais au lieu de le supprimer, on choisit de le renforcer et de le solidifier. Ça ne marche pas forcément pour tout le monde. 

La solution au casse-tête des entretiens annuels dépend fortement de la taille, de l’organisation et de l’ADN de chaque entreprise. Est-ce une entreprise internationale, ou une startup dont tous les managers peuvent se réunir autour d’une table ?

Est-ce une boîte d’ingénieurs où on est plutôt partisan des process très strictes et codifiés ? Ou une boîte très sales, où la vitesse et la flexibilité priment mais où les chiffres parlent d’eux mêmes ? 

À chacun sa manière de calibrer la notation - mais une chose est sûre : à l’ère de la transparence, un système rigoureux et objectif devient indispensable pour garantir l’objectivité des évaluations de performance, surtout lorsqu’elles servent de fondement aux décisions de rémunération.

Et ma prédiction, c’est que la plupart des entreprises ayant fait le choix de ne pas avoir de notes dans leurs entretiens annuels vont revenir sur leur décision pour se réorienter vers un système de notation qui leur permettra de guider leurs décisions de rémunération.

Je serais curieux de savoir comment vous attaquez cette question et si vous partagez ma prédiction ?


Sinon, à très bientôt pour la suite de cette mini-série !  

Pour continuer la conversation

Une sélection de contenus pour nourrir la réflexion. N’hésitez pas à m’envoyer les articles qui vous ont semblé intéressants ! 

Be not afraid of greatness. ✨ Navigating a Performance Calibration - Jessica Zwaan - Medium- En Anglais  

Ok, mais concrètement, à quoi ressemble un processus de calibration ? J’aime bien ce guide rédigé par Jessica Zwaan, qui détaille toutes les étapes nécessaires pour se mettre d’accord, au sein d’une entreprise, sur l’évaluation de la performance. À lire pour obtenir des conseils plus concrets ! 

The Performance Management Revolution- Harvard Business Review - Peter Cappelli and Anna Tavis - En Anglais 

Cet article date de 2016 et donc d’une période où les entreprises étaient enthousiastes à l’idée de se débarrasser des entretiens annuels. Il offre une perspective historique très intéressante de l’évaluation de la performance en entreprise. Il est intéressant de voir qu’il y a 8 ans, la question de la transparence ne se posait pas du tout dans les mêmes termes qu'aujourd'hui. 

La directive européenne mise sur la transparence des rémunérations pour réduire les inégalités femmes-hommes - Frédéric Brillet et Anne Rodier - Le Monde

Dans Le Monde, un article qui détaille les retombées concrètes que pourrait avoir la directive européenne sur les inégalités homme-femme. Un signe que le grand public est en train de prendre la mesure de la révolution qui se prépare. 

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