Compversation #3 - c'était mieux avant ?
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C’était mieux avant ?
Innover ou mourir.
L’injonction est tellement omniprésente qu’elle en devient cliché. C’est d’ailleurs la conclusion quasi-unanime du sondage annuel de PwC auprès de 4,410 CEO : il faut se transformer.
Des grands groupes aux petites structures, la course à l’innovation bat son plein. Les équipes produit sont tenues de s’améliorer en permanence, les marketeux rivalisent d’ingéniosité pour s’adresser à de nouveaux prospects…
Cette frénésie semble s’arrêter au seuil des bureaux RH. Je me demande parfois si c’est le seul endroit, dans les entreprises modernes, où l’on est contraint de se rabattre sur des méthodes éprouvées plutôt que d’essayer de nouvelles pistes prometteuses, mais incertaines.
Mais alors que de grands changements s’annoncent dans le secteur, et spécifiquement pour les professionnels de la rémunération, nous allons devoir, nous aussi, nous prêter à l’exercice de la réinvention de soi.
Sommes-nous plus frileux que les autres ?
Il est normal que nous, les RH, ayons du mal à remettre en question nos façons de faire.
Historiquement, la prise d’initiative n’a jamais été de nos prérogatives. Au contraire, notre rôle est plutôt de mitiger les risques… et de mettre de l’eau dans le vin de nos collègues les plus avant-gardistes.
Nous sommes avant tout garants de la sécurité économique, judiciaire et sociale de notre entreprise. Alors, nous ne voyons pas les grands changements comme autant d’opportunités, mais comme des dangers potentiels.
En plus de cette frilosité historique, il se trouve que l’objet de notre travail se prête moins à l’expérimentation.
Nous travaillons avec l’humain. Si dans le domaine de la tech, il peut être facile de lancer une nouvelle fonctionnalité pour la retirer en cas de bug, si les marketeurs peuvent stopper net une campagne qui ne produit pas les effets espérés, le « test and learn » est bien plus délicat pour nous.
Comment retirer aux salariés des avantages qui leur ont déjà été concédés ? Comment annuler les pratiques novatrices mises en place pour se rabattre sur des règles moins flexibles ?
À chaque fois qu’une décision RH est prise, elle dépasse le cadre de l’expérimentation pour devenir un acquis sur lequel il est difficile de revenir.
Et même si tous ces obstacles à l’innovation pouvaient être surmontés, on sait, comme le rappelait il y a quelques jours le JT de France 2, que 82% des DRH se déclarent au bord de l’épuisement.
Alors que nous sommes souvent à court de temps et de ressources, on ne peut pas s’étonner que le goût du risque nous manque parfois. @
De l’attentisme à l’immobilisme
Semaine de 4 jours, télétravail, vacances illimitées, transparence salariale… nombreuses sont les perspectives prometteuses qui intéressent les responsables RH autour de moi.
Il est vrai que la question du future of work n’a jamais été aussi passionnante et riche qu’aujourd’hui.
Seulement voilà : il est rare que cet enthousiasme se transforme en mesures concrètes.
L’attitude la plus courante consiste à attendre voir ce que les autres feront pour tirer les conclusions de leurs tentatives sans en faire les frais.
Cet attentisme généralisé peut se transformer en immobilisme. À l’inverse des autres domaines où tout le monde veut être pionnier, ici, personne ne veut être le premier à se jeter à l’eau.
Alors, que se passe-t-il ? Cet « équilibre de la terreur » est rompu par des circonstances inattendues qui forcent tout le monde à se réinventer au plus vite.
La crise du Covid-19 en est un cas d’école : les entreprises qui avaient voulu ignorer les questions du télétravail et du distanciel ont été obligées de mettre en place, in extremis, des méthodes permettant à leurs collaborateurs de travailler ensemble, où qu’ils soient.
Depuis, toute entreprise se doit de statuer sur la question du télétravail, désormais incontournable.
Dans notre domaine, le comp & ben, on se dirige vers un changement de paradigme d’une ampleur comparable.
Ne rien faire est un risque aussi
Car on se dirige résolument vers un monde où la transparence salariale est la règle.
La directive européenne sur la transparence salariale, adoptée en 2023, devrait bientôt se voir appliquée en France, d’après une déclaration récente de la première ministre Elisabeth Borne.
Même si certaines start-ups ont adopté, depuis quelques années, une politique de transparence, les entreprises françaises, dans leur ensemble, ne sont pas prêtes à l’appliquer, du jour au lendemain.
Car les défis de demain sont sans précédent dans l’histoire du travail. On ne pourra pas y faire face avec nos outils historiques. Il faudra trouver de nouveaux moyens de faire.
Mais cette innovation-là ne s’improvise pas : elle nécessite un profond travail de réflexion au sujet de sa politique salariale.
Ici, l’immobilisme n’est plus synonyme de sécurité. Ne rien faire, c’est s’exposer au risque de devoir publier des chiffres incohérents ou injustifiables.
Alors, il faut devancer l’innovation avant qu’elle ne s’impose.
Je suggère souvent aux responsables comp & ben que je conseille d’agir « comme si leurs salaires devraient être leakés du jour au lendemain » pour éviter d’être pris de cours, comme c’est récemment arrivé à Microsoft.
Une chose est sûre : la nouvelle génération d’RH et de comp & ben doivent mettre l’innovation et la prise de risque au centre de leurs pratiques.
Pour ce faire, l’intelligence artificielle et les outils digitaux peuvent être d’une aide précieuse. C’est un sujet qui me passionne, et j’ai récemment eu la chance d’en discuter avec deux spécialistes lors d’un webinaire (en anglais). Une thématique que je compte approfondir lors des prochains numéros de cette newsletter.
Mais pour moi, la meilleure façon d’innover et de sortir de l’attentisme, ne viendra pas seulement de la technologie. c’est de le faire ensemble. La plupart des responsables comp & ben que je connais en sont au même point : c’est-à-dire qu’ils tâtonnent pour trouver de bonnes solutions à un problème inédit.
Plutôt que d’attendre de voir comment les autres vont se débrouiller, je pense qu’il est important qu’on en parle, qu’on partage nos interrogations, nos initiatives. Qu’on parle des risques et des opportunités qui se profilent.
Les spécialistes de l’innovation le disent : l’innovation est une discipline collective. Ensemble, nous pouvons trouver les clefs pour affronter les nouveaux défis
Pour continuer la conversation
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