Considéré par de nombreuses entreprises comme l’antichambre de la Directive européenne sur la transparence des rémunérations, l’index d’égalité professionnelle les prépare-t-il suffisamment au profond changement culturel qui les attend ? Pas si sûr…
7 juin 2026. L’échéance est si proche et pourtant, combien d’entreprises sont-elles vraiment prêtes à prendre le virage de la transparence des rémunérations ?
Pour beaucoup, le travail a déjà été fait. Du moins, c’est ce qu’elles pensent.
“Un certain nombre de mes clients estime ne pas avoir à se préparer à la transparence des rémunérations parce qu’ils ont une bonne note à l’index d’égalité professionnelle”, remarque Sandrine Dorbes, experte en rémunération et autrice de “La rémunération n’est pas qu’une question d’argent” (Dunod).
L’index d’égalité H/F n’est-il qu’une vaste fumisterie… ?
Pour Lobna Calleja Ben Hassine, DRH pendant 18 ans, et conférencière IA et RH, se contenter d’une bonne note à cet index n’est pourtant pas une perspective suffisante pour la simple et bonne raison qu’elle déplore la pertinence de cet outil. “Déjà, il suffit d’avoir une note minimum de 75, ce qui n’est clairement pas “glorieux ”, mais surtout, cette note n’est pas toujours représentative de la réalité”, déplore-t-elle.
L’ex DRH se souvient ainsi d’une année où elle n’avait pas obtenu les 15 points attribués lorsqu’une entreprise augmente ses salariées après leur congé maternité…tout simplement car aucune de ses employées n’était partie en congé maternité cette année-là. “De plus, sur les écarts de rémunérations, une entreprise peut choisir parmi trois éléments de comparaison qui lui sont plus ou moins favorables”, poursuit-elle.
Le pire selon elle ? Le risque réel que les décisions de rémunération des entreprises soient biaisées par la poursuite d’une bonne note à l’index, plutôt que de les objectiver sur la base des compétences et résultats. “Dans ce cas, je préfère que l’on alloue une enveloppe spécifique pour remettre à plat les rémunérations H/F pour répartir sur des bases saines”, lance-t-elle.
En somme, Lobna Calleja Ben Hassine craint que les décisions prises sur la base de l’index soient moins objectivées, ce qui va à l’encontre de la Directive Européenne sur la transparence des rémunérations.
…ou juste un outil imparfait ?
Pour Sandrine Dorbes, l’index d’égalité professionnelle est certes imparfait : les entreprises en hypercroissance, ou avec un fort taux de turnover, peuvent enregistrer de mauvais résultats sans pour autant agir en défaveur des femmes. On peut aussi regretter que certaines situations inéquitables se retrouvent noyées dans la masse au sein de grandes entreprises. Et puis, comment comparer des structures qui n’ont absolument pas la même taille, avec un même outil ?
Toujours est-il que l’index demeure un premier pas vers plus de justice entre les hommes et les femmes (de plus, il doit bientôt être révisé pour revenir dans une version améliorée). “Quand les entreprises ne récoltent pas tous les points, elles doivent faire un rationnel qu’elles présentent devant les élus pour expliquer ces écarts. C’est déjà un premier pas dans la prise de conscience”, affirme-t-elle.
Elle se souvient également avoir vu des sociétés du SBF 120 se challenger pour obtenir un meilleur score que leurs concurrents, ce qui demeure somme toute positif. Un avis partagé par le CEO de Météojob, Marko Vujasinovic : “l’index demeure un outil très intéressant en ce qu’il a forcé des entreprises à se pencher sur un sujet qui n’était absolument pas prioritaire pour certaines d’entre elles”.
Dans le cas de CleverConnect, l’entité qui abrite MétéoJob, c’est la présence des femmes dans le top 10 des rémunérations qui pénalise encore la note de l’entreprise (93 sur 100). “C’est une préoccupation centrale mais nous n’arrivons pas encore à recruter suffisamment de femmes dans le top exec”, admet-il.
Ne pas résumer la transparence des rémunérations à l’égalité H/F
Si l’index d’égalité professionnelle a le mérite de mettre sur la table les différences de rémunérations H/F, il ne suffit clairement pas à lui-seul à couvrir toutes les problématiques liées à la transparence. “Les écarts injustifiés ne se passent pas qu’entre les sexes”, poursuit le CEO de MétéoJob.
Dans le cas de CleverConnect, il nous explique devoir encore travailler sur les parcours de carrière afin de pouvoir communiquer de manière plus transparente auprès des collaborateurs. “Nous avons mené ce travail dans certains pôles, mais il est encore difficile dans certains cas comme pour les fonctions support. La compétence et la performance sont beaucoup plus facilement objectivables dans certains métiers comme pour les sales”, admet-t-il.
L’enjeu ? Être capable d’expliquer comment les rémunérations évoluent pour les juniors et les séniors selon des critères bien définis. Par exemple, est-ce que telle ou telle compétence additionnelle justifie un écart de rémunération ? “Les stratégies de rémunération doivent être attachées à un système de carrière transparent, et les parts de variables individuels attachées à des critères de performance objectivables”, résume-t-il.
Et c’est là que le changement culturel devient concret : les managers devront assumer de rendre des comptes, non seulement auprès de leur direction mais aussi face à leurs équipes. Expliquer pourquoi deux collaborateurs ayant le même intitulé de poste n’ont pas la même rémunération, justifier une prime ou un bonus, détailler les critères retenus… Ces conversations, souvent évitées jusqu’ici, deviendront incontournables.
“D’autant qu’avec l’index, les salariés ne savaient pas du tout où ils étaient positionnés sur l’échelle de rémunération. Ils vont maintenant pouvoir demander des comptes de manière individuelle”, renchérit Sandrine Dorbes.
La transparence, un enjeu de communication à 360
Pour l’experte en rémunération, pas question non plus de polariser le débat sur la transparence autour de l’égalité H/F. Bien sûr, il s’agit de l’une des inégalités les plus criantes, mais d’autres situations dans l’entreprise méritent de l’attention. “Par exemple, comment traite-t-on un collaborateur, homme ou femme, qui prend un congé de 5 mois pour s’occuper d’un proche ? Pour moi, l’aidance est un sujet à part entière, au même titre que la parentalité”, illustre-t-elle. Âge, origine, diplôme, handicap, mobilité interne… tous ces éléments devront être passés en revue.
Côté RH, l’impact est tout aussi fort : au-delà de la mesure des écarts, les entreprises devront repenser leurs pratiques. Cela passe par la refonte des grilles de salaires, la mise en place de career frameworks détaillés, ou encore la construction de processus de communication interne clairs et pédagogiques. À défaut, la transparence risque de se transformer en défiance.
Bref, ne voyons l’index que comme un outil statistique qui ne permettra pas aux entreprises de faire l’économie d’un travail en profondeur sur l’objectivation des critères de rémunération. Le véritable nerf de la guerre !



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