Compversation #21 - Les compétences, ça paye ?

5/2/2025
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Sommaire

La rémunération “skill-based” : mythe ou réalité ?

Et si la notion de « métier » était dépassée ? Organiser le travail en entreprise par fiches de poste serait une méthode caduque. 

Il y aurait une façon plus juste et efficace de répartir les missions au sein d’une entreprise : en fonction des compétences. Du moins, c’est ce qu’on lit dans un nombre toujours croissant d’articles qui vantent les organisations « skill-based » : on considère les individus en fonction de ce qu’ils sont capables de faire, plutôt qu’en fonction de leur intitulé de poste. 

Un engouement accéléré par l’essor de l’IA : il serait désormais plus facile que jamais d’inventorier les compétences dont on dispose parmi ses effectifs et celles dont on aura besoin dans un futur proche. Un certain nombre de logiciels de gestion des compétences comme Gloat, Oracle ou SAP promettent d’outiller les entreprises pour la révolution des skills.

Une révolution qui promet de toucher tous les domaines RH, du recrutement à la formation… sans oublier, bien sûr, la rémunération. D’ailleurs, j’ai pu constater, lors des 2 derniers salons RH auxquels j’ai assisté, Unleash et HR technologies, la multiplication exponentielle des entreprises qui travaillaient dans les compétences et l’IA… (pendant ce temps, les outils de gestion de la rémunération restent pour l’instant très peu présents, malgré le spectre de la transparence à venir).  

C’est pour cette raison que j’ai voulu aborder les compétences dans cette minisérie de newsletters consacrée aux critères qui servent à justifier la rémunération. S’il est classique de penser à l’évaluation de la performance ou au potentiel comme critères de rémunération, j’entends de plus en plus parler de la rémunération par les compétences. 

Il y a peu, je discutais avec une responsable comp & ben chargée par sa hiérarchie, dans le cadre d’une transformation RH, d’aligner la rémunération avec les compétences. Elle me demandait des billes pour y arriver tout en respectant les exigences de transparence. C’est-à-dire, de le faire de manière objective, juste et équitable. Mais est-ce seulement possible ?

Une organisation plus juste et plus efficace ? 

Il y a des concepts dans le comp & ben qui ont l’air simples sur le papier, mais qui sont de vrais casse-têtes sur le terrain : c’est le cas par exemple de la rémunération variable (on en parlera dans un prochain numéro). Pour moi, la rémunération par les compétences en fait partie. 

La solution a pourtant l’air idéale : les managers évaluent les employés selon leurs compétences, puis estiment celles dont ils pourraient avoir besoin dans un futur proche. On essaie, à partir de cette analyse, de sourcer au mieux celles qui manquent, en interne ou en externe. Les décisions de rémunérations se feraient en fonction de cela. 

Cette grille de lecture aurait l’avantage de libérer les collaborateurs des carcans du poste et de mettre en évidence des mobilités internes ou des trajectoires de carrière auxquelles on n’aurait pas forcément pensé. Par exemple, on identifierait des compétences communes entre les équipes commerciales ou de recrutement, entre le service client et la communication interne… 

L’expert des RH Josh Bersin donne l’exemple d’American Express, qui aurait compris, grâce à une approche axée sur les compétences, qu’elle aurait intérêt à recruter dans le secteur de l’hôtellerie pour ses équipes commerciales et de service client : l’entreprise soigne l’expérience de ses clients à la manière d’un hôtel de luxe. 

On voit facilement les avantages que ce système pourrait avoir pour les collaborateurs : une plus grande visibilité sur leurs trajectoires de carrière, la possibilité de se former afin d’acquérir de nouvelles compétences et de faire évoluer leur rémunération, un sentiment d’équité accru… D’ailleurs, d’après Deloitte, ils sont 73% à considérer qu’une approche basée sur les compétences améliorerait leur expérience au travail et 66% à penser être plus susceptibles d’être attirés par une entreprise qui adopterait ce système. 

L’usine à gaz du référentiel de compétences

Tout ça, c’est sur le papier. En pratique, je n’ai jamais vu cette promesse alléchante fonctionner. À force de voir des entreprises se casser les dents, j’ai fini  par considérer les projet de gestion des compétences comme un exemple de ces systèmes prometteurs mis en place par les RH…  mais qui ne sont jamais effectivement utilisés par les managers ou employés sur le terrain.

Et qui peuvent d’ailleurs souvent nuire à l’image de la fonction, en renforçant le cliché des RH qui développent des méthodologies lourdes, inutiles, déconnectées de la réalité et qui n’apportent pas de valeur au business. Les problèmes commencent dès l’étape de la construction du référentiel de compétences : une vraie usine à gaz. 

On se lance dans un projet qui dure 3 ou 4 ans, on mène des ateliers avec les équipes pour aider chacun à définir les compétences de son métier, on croise toutes ces données pour construire une base fiable… et lorsqu’on a fini, elle est déjà obsolète. On se retrouve avec un outil hors-sol qui ne sera pas vraiment utilisé par les métiers. 

Lorsque je parle à des entreprises qui ont mis en place des référentiels compétences, je demande toujours « est-ce que c’est effectivement utilisé par les managers ? », et la réponse n’est jamais oui. Sans parler de la définition des compétences elles-mêmes qui pose problème : à force de vouloir les généraliser pour qu’elles s’appliquent à plusieurs métiers, elles finissent par devenir trop abstraites. « Communication » ne veut pas forcément dire la même chose lorsqu’on parle du service client ou de la com interne… 

C’est aussi un problème que souligne Josh Bersin :  les compétences dépendent fortement du contexte, de l’alignement entre les collaborateurs et leur entreprise. Elles n’existent pas dans l’absolu. 

Ce décalage entre l’outil et la réalité qu’il prétend décrire devient particulièrement grave lorsqu’on parle de rémunération. 

On l’a suffisamment dit et répété : à l’ère de la transparence, toute décision de rémunération devra se baser sur des critères objectifs, fiables et équitables. Ce n’est pas simplement une question éthique, mais une exigence légale. En juin 2026, les pays européens seront tenus de traduire la directive européenne dans leurs lois nationales. Un référentiel  imprécis ne peut pas offrir de base suffisamment solide pour un système de rémunération au vu des exigences légales. 

C’est pour cette raison que je n’ai jamais cru, historiquement, à la rémunération par les compétences : le chantier a toujours été trop lourd et n’aboutissait que très rarement. 

Mais tout cela, c’était avant l’IA : maintenant que nous avons les moyens de mettre en place un bon référentiel de compétences, est-il possible de l’articuler avec un bon système de rémunération ? Et bien, je n’y crois toujours pas… 

L’horizon de l’IA pour formaliser l’évaluation des compétences 

On peut me rétorquer que je suis trop cynique (vous pouvez d’ailleurs le faire en répondant à cette newsletter, je suis toujours ravi de débattre !). 

Et c’est vrai que l’IA pourra permettre d’accélérer la définition et l’évaluation des compétences : c’est du moins ce que promettent les outils et matrices de skill-based management. Peut-être que, dans le monde de demain, on aura à disposition un socle d’évaluation plus granulaire et plus précis qui nous permettra de rémunérer chacun et chacune en fonction de ses compétences plutôt que de son poste. 

Mais pratiquement, je pense qu’on en est loin : je ne vois pas de solution évidente pour transformer cette utopie en réalité et pour passer d’un système de rémunération centré autour des postes à un système centré autour des compétences. Même lorsqu’on dispose d’un référentiel de compétences clair et précis.

Car même si on arrive à évaluer précisément les compétences de chacun, il reste la question de leur associer une valeur. Est-ce que chaque compétence est associée à un niveau de valorisation ? Est-ce qu’un package est défini par une somme de compétences ? Et donc au final, un salaire c’est une moyenne pondérée de la valeur de chaque compétence x le niveau de maitrise de chaque employé ?

Cette manière de fonctionner me paraît déja extrêmement complexe en théorie. Et impossible une fois qu’on la confronte à la rigidité du droit social. La seule application concrète que je vois est la suivante : accorder une prime annuelle associée à la maitrise d’une compétence clé - l’IA, par exemple. Ou alors, positionner ceux qui disposent de certaines compétences plus haut dans leur fourchette salariale, qui reste, elle, définie par rapport au poste.  

Bref, les compétences connaissent peut-être un nouvel essor grâce à l’IA, mais je ne vois pas pour l’instant, de lien évident, avec le système de rémunération. 

Évidemment, si vous avez réussi à mettre en place un système de rémunération basé sur les compétences ou si vous avez une idée théorique de quelle forme 

Pour continuer la conversation

Une sélection de contenus pour nourrir la réflexion. N’hésitez pas à m’envoyer les articles qui vous ont semblé intéressants ! 

The skills-based organization: A new operating model for work and the workforce

Sue Cantrell, Robin Jones, Michael Griffiths, Julie Hiipakka  - Deloitte - En anglais 

Un article très complet (et optimiste !) de Deloitte sur l’évolution des organisations vers un système de gestion par les compétences nourri par des données recueillies auprès de plus de 1000 professionnels partout dans le monde. 

Building A Skills-Based Organization: The Exciting But Sober Reality -  Josh Bersin - En Anglais 

Une réflexion intéressante menée par Josh Bersin sur la promesse de la skill-based organization, entre promesses mensongères et défis concrets. 

Passer à une stratégie de rémunération basée sur les compétences -  Khalil Aït-Mouloud - WTW 

Un article de Khalil Aït-Mouloud, directeur de l'Activité Enquêtes de rémunération chez WTW en France qui date de 2020 mais qui reste intéressant au sujet des nombreux défis que rencontrent les entreprises qui veulent dépasser un modèle de rémunération basé sur les métiers. 

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